Promoteur d’une galerie d’arts située à Bonanjo, quartier administratif de la capitale économique camerounaise, le sculpteur Zak Ndam nous parle de sa passion pour ce métier et du rôle des œuvres d’art dans nos vies.
Merci Zak de nous accueillir dans ton atelier. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Zak Ndam, un personnage atypique. Je suis né à Foumban en 1974. J’ai une galerie à Bonanjo qui fait dans l’art classique. Zak Ndam est aussi créateur d’un nouveau courant d’art qui s’intitule « la spiri-culture », qui est l’art de contribuer pour bâtir un monde meilleur. Pour faire simple, c’est la culture des vertus dans le monde mental, sentimental et comportemental pour nourrir les êtres. Je suis un passionné de l’art. J’imagine qu’au départ était l’art et l’art joue un rôle central pour sauver l’humanité. Il y a des agriculteurs qui cultivent des vivres sur la terre, mais moi je suis « spiri-culteur » pour nourrir les esprits et les âmes.
Que signifie matérialiser les idées dans votre métier ?
Vous savez les gens sont focus sur les objets d’art, les toiles, les images, on vit dans un monde qui cultive, j’appelle ça le culte des images, où on ne respecte plus le mage qui est l’artiste. Parce que l’artiste est un mage. Il utilise sa posture de mage pour canaliser la magie de la vie à travers ses images, c’est-à-dire ses œuvres. Dans la posture de ce que nous créons dans les œuvres, c’est que nous avons un grand rôle à jouer pour nourrir les esprits et les âmes. Imaginez un monde sans agriculture, où en sera l’humanité ?
Comment on allait faire pour se nourrir ? Pour nourrir le corps physique en fait ? Quand je sculpte, je ne sculpte pas les formes, je sculpte les esprits, je sculpte les énergies, les messages. Je sculpte en gros les vertus. Donc quand tu regardes une œuvre de Zak Ndam, tu verras qu’il y a la décomposition, il y a la recomposition parce que nous vivons des messages. Les messages en fait c’est des « Messe-sages ». Au commencement était la messe, c’est-à-dire la parole. En observant une œuvre, on entre en communion et on nourrit son âme et son esprit et ça nous permet de nous élever. Hier j’ai écrit sur ma page Facebook : « l’art est un véhicule de la connaissance qui amène les esprits et les âmes dans un monde des merveilles ».
Zak Ndam parlez-nous un peu de vos débuts…
C’est un héritage ancestral. Mon papa était un marchand d’art. Mes oncles paternels étaient des sculpteurs. Mais au-delà de l’héritage ancestral, c’est une mission cosmique. Je m’identifie comme un artiste missionnaire. Pour moi être artiste n’est pas un privilège. C’est une mission. Et quand je parle de mission, on va rendre compte parce que nous sommes observés par le monde supérieur à nous. Alors dans mon cheminement, je suis passionné de l’art. Quand je finis mes études fautes de moyens, à l’âge de 16 ans, je me retrouve en train de vendre les objets d’art. Je commence à vendre des petits masques, je crée une galerie à Bonanjo.
C’est en 2015 que je reçois la révélation en tant qu’artiste. Avant j’étais vendeur d’arts classiques seulement. En 2015, je fais un voyage de Foumban pour Douala pour une petite fête sacrificielle, où je vais donner à manger aux familles, voisins et amis. Et quand je reste dans le salon avec les enfants en train de dialoguer, un oiseau sauvage entre par la porte centrale et se pose sur mon fauteuil. A la veille, j’ai dit aux enfants de ne pas s’asseoir sur mon fauteuil quand je ne suis pas à la maison.
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Dans la tradition Bamoun on ne s’assoit pas sur le fauteuil de papa. Le jour de la fête, on est en train de dialoguer, l’oiseau vient briser la loi que j’ai donnée à la veille. Les enfants s’exclament en disant : « Papa, voilà l’oiseau sur ton fauteuil ». J’ai eu la chair de poule ce jour parce que pour moi, c’était un message divin. L’oiseau pour moi représente le monde angélique. C’était le monde devin qui venait me dire : « Zak, tu as dit que tu aimes les enfants, libère ça, arrête de mettre des interdits, ne pas s’asseoir ou s’asseoir quand tu es ou n’est pas là. Libère ça ».
Au-delà du volet spirituel, est-ce que ce business nourrit son homme ?
Oui ça nourrit son homme. Nous ne sommes pas que des êtres physiques, nous sommes des êtres métaphysiques. Je le fais par passion, je baigne dans une béatitude. Vous voyez comment je dégage une lumière illimitée. Et même sur le plan matériel, ça nourrit son homme. Il ne faut pas être pessimiste, soyons honnête et optimiste. Je gagne suffisamment ma vie et je suis très heureux.
Qui sont vos clients ?
Les clients, dans la majorité, c’est l’élite, l’occident. Ce qui m’arrange c’est qu’il y a une classe moyenne qui est en train d’émerger en Afrique qui s’intéresse de plus en plus à l’art. Cette classe embrasse la culture africaine, corps, esprit et âme et ça me réjouit.
Expliquez-nous un peu le phénomène des œuvres d’art qui sont utilisées par certains ressortissants Bamoun pour arnaquer…
Honnêtement, vous savez je suis un esprit libre. Vous savez que dans chaque communauté, il existe des esprits un peu sains et malsains. Il y a toujours des bienfaisants et des malfaisants. C’est la loi de la vie, ce n’est pas que chez les Bamouns. C’est un phénomène que je ne partage pas trop. Tout ce qui concerne l’injustice, les détournements, la malveillance, je n’aime pas trop. Ça ne m’arrange pas. Mais si j’ai un conseil à donner à mes frères que j’aime beaucoup, c’est de prendre conscience qu’on peut utiliser ses talents pour des bonnes causes et non pour nuire.
Ils ne savent pas qu’ils peuvent utiliser ces talents pour devenir des opérateurs économiques. Tout le monde est en quête du paradis, même le bandit est en quête du paradis, mais il ne sait pas quel chemin choisir. Je leur dis humblement de se ressaisir parce que c’est un mauvais chemin. Tout ce que nous faisons est enregistré et il y a des comptes à rendre. Je suis dans la posture de l’assistance de personne en danger.
Pour revenir sur les œuvres d’art, qu’est-ce qu’elles représentent dans une maison ?
Pour savoir ce que représente une œuvre d’art dans une maison, je t’invite humblement dans un restaurant de la place. On arrive, il y a des menus différents. On passe, chacun sa commande. Un masque, une œuvre d’art qu’on met dans la maison est un menu, mais un menu mental, sentimental et comportemental. Ça nourrit notre mental, notre esprit, notre âme et notre corps physique qu’on ne voit pas. En fait c’est un aliment, c’est un médicament, c’est même un enseignement. C’est plus fort, une œuvre d’art. Ça enseigne, ça soigne, ça guérit. L’art guérit. Imagine un masque dans un appartement. C’est un peu comme une fenêtre qui s’ouvre vers l’immensité. Aujourd’hui on est dans des écrans plasma, on est dans des canapés,….On n’est pas libre, on n’arrive plus à assumer sa posture d’âme ou bien d’esprit. Les œuvres d’art nourrissent notre démarche spirituelle, notre démarche de l’âme. L’âme a aussi besoin de manger. La nourriture physique nourrit le corps physique. Les œuvres d’art développent la conscience supérieure de l’humanité.
Que pensez-vous des œuvres d’art dérobées dans nos royaumes par les colons? Est-ce qu’il y a une différence entre ces œuvres qui embellissent les musées en occident et celles que nous avons encore ici au pays?
L’art originel est sacré. C’est ma démarche artistique. A l’intérieur des œuvres d’art, il y a une vitalisation, il y a une incarnation. La différence entre l’art occidental et l’art africain est simple : une partie de l’art occidental est destinée à l’exposition. L’art africain au plan originel, c’est un art d’incarnation, c’est-à-dire que certains esprits y vivent pour nous aider, pour nous accompagner.
Ce ne sont pas des œuvres vides. Que ça soit volé, emporté, les œuvres ont leur vie à faire. Malgré la distance, ces œuvres sont avec nous. L’âme n’a pas de race. Détrompez-vous. Les races, les familles, ce sont les humains qui créent ça. On nous a menti.
On parle de retour maintenant parce que les œuvres ont atteint une période de leur vie où elles doivent aussi rentrer en Afrique. Au-delà des humains, de nos petites personnes physiques ; il y a une autre main invisible qui dirige le monde. Derrière chaque être humain, se cache une main invisible.
Entretien mené par Didier Ndengue
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