La ligne rouge est atteinte

Le dimanche 17 septembre 2021, c’est l’horreur. Deux véhicules blindés des forces de  défense tombent dans une embuscade et sont pris à partie à l’aide de grenades et de lance-roquettes. Ce dernier épisode est une gradation de la menace dont il est important d’en analyser les marqueurs en vue de l’évaluation des enjeux et défis sécuritaires de cette région.

Par Dr Didier Badjeck, Directeur Cameroon Consulting and Prospective

Décrypter le nouveau schéma tactique des sécessionnistes :

L’embuscade se déroule à Bemessing qui est l’un des quatre villages de la Commune de Ndop, dans le Département du Ngo-Ketunjia (8.8 kms de Ndop). Elle a été menée sur renseignement en vue de créer la plus grande attrition possible au sein des troupes régulières. Après cet acte, les images ont pollué l’infosphère. Il existe donc clairement, un effet final de communication pour les sécessionnistes qui porte au moins sur deux enjeux : un enjeu d’influence et un enjeu d’image. Une telle action se planifie à l’avance, les seules inconnues sont le lieu et le temps, toute chose qui nous pousse à croire qu’au sein de ces groupes sécessionnistes, il existe désormais des moyens de coordination.

Négliger cette donne aujourd’hui serait préjudiciable pour les opérations de sécurisation qui doivent se poursuivre coûte que vaille. Cette attaque va dans le prolongement des attaques audacieuses qui se sont poursuivies ces derniers temps, dont les plus importantes sont celles qui se sont déroulées à Kumbo, Matazem, Babadjou.

Il ne s’agit plus de traiter cette menace comme étant celle de combattants égarés qui pourraient revenir à la raison, ces combattants s’étant complètement radicalisés et les actions qu’ils mènent sont une émulation croissante pour poursuivre des opérations de harcèlement.  Le commandement militaire suffisamment professionnel fera une lecture pertinente de la situation pour donner une réponse forte à cette nouvelle gradation de la menace qui est une évolution significative de théâtre. L’Armée camerounaise en a les moyens, les outils et elle peut également briller dans le combat rustique, en plus de la technoguerre qu’elle maîtrise. Cette nouvelle situation appelle pourtant à s’interroger sur les méthodes des terroristes qui bénéficient désormais de soutiens qu’il faudra immédiatement détricoter et qui, pour notre part, ne s’arrêteraient pas seulement à un syndicat de terroristes régional.

Aujourd’hui, c’est  l’intégrité territoriale du Cameroun qui est mise en danger et en sus, l’autorité de l’État qu’il faudrait réinstaurer dans cette partie du Cameroun. Aucun pays, ou puissance ne saurait à ce propos indiquer la posture du Cameroun qui reste souverain dans sa stratégie de défense  de son intégrité. L’heure n’est plus aux atermoiements mais à une riposte dure.

Face à la crise, des positions pour le moins étranges   

La majorité des Camerounais ont marqué leur indignation face à l’attaque de Bemessing. Le témoignage de la patrie reconnaissante aux vaillants soldats tombés sur le champ d’honneur a résonné amplement. Ces soldats menaient une mission pour la sécurité et la paix, protégeant la rentrée scolaire mise à rude épreuve par les sécessionnistes. C’est pour cette mission noble qu’ils sont morts. De telles circonstances auraient fédéré l’unisson de tous les Camerounais, comme c’est le cas dans certains pays dont on aime singer les principes ou vers lesquels l’on appelle au soutien paternaliste néocolonial dans la posture éternelle de l’assujeti.

Dans des pays même les plus divergents politiquement, une telle crise commande déjà la condamnation unanime des hommes politiques et de leur disponibilité à apporter leurs contributions. Ce qui est par contre dissonant est la posture de certains qui pensent tirer tels dividendes d’une situation de crise qui nécessite déjà de rendre hommage aux morts, mais ensuite, de continuer le combat. La mission globale de l’Armée camerounaise ne sera pas retractée, elle continuera d’assurer en tout temps et en tout lieu la défense de l’intégrité territoriale. Cette mission restée cardinale est menée sans idée de recul. Il est également surprenant de saisir les commentaires ironiques de  certains médias sociaux, à limite apologétiques aux sécessionnistes pour quelques uns. L’Armée camerounaise appartiendrait-elle à un individu, en soit-il le Chef ? Appartiendrait-elle à un gouvernement, ou à un parti politique ? Notre patriotisme se consacre dans l’union sacrée autour des enjeux de nos intérêts et à cet effet,  sur le plan sécuritaire, l’État garde le monopole de la violence légitime.  Les soldats qui sont les vecteurs légitimes de cette violence reçoivent alors tout le soutien de la Nation.

Le changement de paradigme opérationnel ne suffit pas

Tous les actes qui visent à contrarier la mission régalienne de la sauvegarde de l’intégrité territoriale constitue des actes d’hostilité envers la patrie. Les soldats, en s’engageant dans les Forces de Défense et de Sécurité sont prêts au sacrifice suprême. Cette posture sacrificielle doit être accompagnée du consentement de toute la nation. Ceux qui pensent alors tirer des satisfécits de soldats morts pour la patrie, les identifiant à des leviers du pouvoir et de chantage ne méritent plus d’être éligibles dans l’arène politique. Ils en sont d’ailleurs radiés. Nous nous souvenons que les mêmes proposaient que les militaires se mutinent. En réalité, l’armée constitue pour ceux-là, un regroupement de parias. La défense populaire doit se construire autrement.

Le Cameroun doit solidifier sa carte d’influence sans ambiguïté et rester maître de son destin et de son autonomie stratégique. Il n’a de leçons à recevoir en ce qui concerne les moyens à utiliser pour la défense de ses intérêts.

D’autre part, les médiascopies permettent de déceler des bribes de communication très au fait des évènements qui se déroulent dans le NOSO, de nature à démoraliser ou démobiliser la troupe. Il est enfantin de  décrypter cette stratégie de communication odieuse qui n’est pas propre aux sécessionnistes, eux ayant opté plutôt pour le sensationnel à haute valeur ajoutée. Cette communication est toute aussi néfaste et il est aisé d’en identifier les instigateurs et de contrer ce centre de gravité. S’il est un droit de s’exprimer en démocratie, la déontologie voudrait que les rendus gardent un minimum d’équilibre.

En préservant les acquis du Grand dialogue national, c’est une délicate alchimie qu’il faudrait composer, c’est-à-dire, ne pas ruiner les avancées obtenues d’une part, et imposer plus de rugosité dans les opérations pour que la peur change de camp.