Pour résoudre un problème – quel qu’il soit, il faut absolument d’abord le comprendre. Et la crise au Noso n’y fait pas exception. Cela, je me tue à l’expliquer. Tous ceux qui hurlent : il faut arrêter… Dialoguons… parlent – quand ils sont sincères car ils ne le sont pas toujours – d’une chose qu’ils ne connaissent pas.
Remarquez bien : tous les partisans de cette capitulation et conséquemment de la partition du pays font remonter la crise aux troubles de nature syndicale de 2016 qui auraient dérapé, à cause, prétendent-ils, de l’attentisme de l’État, de sa mauvaise foi, de son arrogance et de son refus de rien concéder. Commençons par voir cet argument-là, à la lumière des faits.
Les avocats du Nord-Ouest déposent un préavis de grève pour mars 2016. Leur exigence est le renvoi du magistrat francophone de Bamenda qui, se plaignent-ils, fait du tort à leurs clients. La Tutelle diligente une enquête et leur répond en avril en précisant qu’aucun tort n’est documenté et en leur fournissant, dans le cadre de la politique d’intégration nationale, les modalités de formation des magistrats, (les mêmes pour tous) et les ratios d’Anglophones servant en zone francophone : deux fois plus, sans que ça cause du trouble là-bas.
Déboutés, ils sont rejoints par leurs confrères du Sud-Ouest qui proposent un changement de paradigme en régionalisant et culturalisant la revendication. Ils le situent dans la continuité de la précédente grève, alors même qu’elle n’en a plus le même objet. La Tutelle y voit de la manipulation et les invite à en débattre au Ministère à Yaoundé. Eux, s’arc-boutent et somment le Ministre de venir à Bamenda.
Face à l’impasse, en juillet, ils décident d’une manifestation qui, non déclarée, se heurte à la force de l’ordre. Pendant ces gesticulations, les enseignants du secondaire anglophones, à leur tour, arpentaient les couloirs du MINESUP pour objecter contre l’harmonisation des programmes en cours au secondaire ; avec pour dessein de camerouniser l’enseignement et de professionnaliser les formations.
Le Minesup les avait reçus en mars 2016 et transmis leurs doléances, (qui concernaient trois départements ministériels), au PM, pour la coordination procédurale. Entre-temps, ils écumaient le Nord-Ouest et l’Université de Bamenda où ils radicalisaient la communauté contre les enseignants francophones qui y avaient été recrutés et dont ils demandaient le renvoi pour pouvoir occuper leurs postes.
Prévenu du trouble que cela pouvait entraîner, le Gouverneur du Nord-Ouest avait tenu plus d’une réunion de coordination. Elles avaient permis de constater que des groupes basés en Europe et aux États-Unis avaient infiltré ces syndicats, y avaient déversé des masses d’argent et du matériel de mobilisation ; mais aussi avaient activé des cellules de jeunes de la communauté, parmi les masses de petits métiers ou désœuvrés et dans la basse criminalité.
La réponse du PM tardant, le 26 octobre 2016, les syndicats émirent un préavis de grève pour le 21 novembre. Le mot d’ordre était classe morte. Aucun enseignant du Primaire ou du Secondaire anglophone ne sortit ce jour-là. Un animateur radio de la place nommé Mancho Bibixy prit sur lui d’haranguer les foules en vue du trouble urbain. La mayonnaise prit dans la ville de Bamenda qui servit d’épicentre, d’où elle se propagea dans tout le pays anglophone et précisément dans les zones à fort peuplement grassfield du Sud-Ouest comme Kumba.
Le 20 novembre, dans l’urgence, le PM Yang se rendit à Bamenda, après avoir pris la journée d’avant pour le débriefing. Il mena de stériles concertations avec divers partenaires sociaux pour comprendre la nature et la portée des exigences. Fort de ses conclusions, il rentra à Yaoundé faire un rapport au PRC. Il fut décidée une Commission ad hoc interministérielle sous son autorité et confiée à son Directeur de Cabinet qui se rendit à Bamenda se pencher sur les doléances syndicales.
Pour coordonner leur démarche, les leaders syndicaux se regroupèrent en un Consortium de la Société Civile Anglophone qui conduisit les négociations. Je recommande à ceux qui préconisent le dialogue de bien comprendre, à ce stade, ce qu’ils demandent et à qui ils le demandent. Car, quoique chaque exigence posée fut intégralement satisfaite, l’État allant même au-delà, ceci fut interprété en face comme une faiblesse. Dans le prochain billet du reste, je vous entretiendrai sur la réponse de l’État. Vous en apprécierez la cohérence.
Le Consortium renchérit, passant de 11 points â 13, à 15, puis à 16 ; et, enfin, sortant du cadre syndical pour exiger une réforme politique hors de la compétence de la Commission. L’État y vit de la manipulation du Consortium et lui trouva – ce qui fut par la suite avéré – de l’intelligence avec les groupes séparatistes de la diaspora. Il le dissout et en emprisonna les leaders qui discutaient en se servant de la foule pour faire valoir leurs arguments pour trouble à l’ordre public et sédition.
Le Consortium dissout, la foule se retrouva sans leader. Le clergé chrétien – catholique surtout – prit la relève en encourageant la rébellion, interprétée comme de la résistance. Le RDPC, dans un effort de désamorcer la tension intra-communautaire Francophones-Anglophones qu’on craignait, voulut tenir un meeting à Bamenda qui, plutôt, gâta tout. L’État comprit-là qu’il était impossible de discuter avec la communauté du tout ou rien. Il fallait d’abord remettre de l’ordre. C’est ainsi que les grandes mesures furent prises et l’option d’une sécurité renforcée, retenue.
L’État n’est donc jamais parti faire la guerre à qui que ce soit. Il n’y a jamais eu d’attentisme de sa part. Sa réponse a toujours été circonstanciée et adaptée à la demande – ou inversement à la mauvaise foi – face à lui. De plus, ceux qui lient le début de la crise aux troubles syndicaux ne peuvent expliquer pourquoi aucun enseignant ou avocat anglophone syndiqué – sinon l’infime minorité – n’a rejoint le mouvement ambazonien. Tous sont restés au pays, s’en réclament citoyens, ont repris les plaidoiries ou les classes et militent pour la fin des troubles.
Comment expliquera-t-on qu’un problème posé le 21 novembre, auquel la réponse a débuté le 23 ; satisfaite à 100% alors que la partie contestatrice s’est réservé le droit d’augmenter ses exigences à son gré ; qu’un tel problème ait tout de même pu dégénérer en guerre civile que ne livrent aucun des acteurs ayant posé ce problème-là ? En cherchant simplement à voir et à comprendre les vrais acteurs de la guerre qui n’ont rien à voir avec les syndicats, sinon une alliance de mauvais aloi…
Il est clair ici qu’il y a eu un effet de cheval de Troie qui a utilisé des attentes latentes dans la communauté et des frustrations diffuses en son sein qu’ont exacerbées divers acteurs sociaux, (intellectuels, religieux, syndicats, journalistes et influenceurs d’opinion), et politiques. Si un cheval permit de détruire Troie, c’est parce qu’il put y entrer. La communauté anglophone, plus qu’aucune nationale, a bénéficié de compréhension à cause de sa particularité. Aucune autre n’aurait pu nous amener un tel désordre. Personne ne l’aurait toléré. »
Edouard Bokagne
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