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Daniel Moundzego : «la situation des réfugiés au Cameroun est catastrophique»

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Créée en 2002, l’Association des réfugiés sans frontières (Arsf) a mené des batailles et engrangé des victoires. Elle n’a ménagé aucun effort pour la défense des droits de l’homme. Pour son 18e anniversaire, son président fondateur, Daniel Moundzego a organisé une petite réception le 14 août 2020 dans ses locaux sis au marché New Deido, à Douala, capitale économique du Cameroun. L’occasion pour le Congolais de  dresser le bilan des 18 années de vie de l’Arsf et de projeter l’avenir.

Sous quel signe placez-vous le 18e anniversaire de l’Association des réfugiés sans frontières ?

Ces 18 ans, nous les plaçons sous le signe de la continuité. Parce que depuis 2002 que nous avons créé l’association, elle a fait beaucoup de choses. Ça ne doit pas s’arrêter, ça doit continuer avec nous ou sans nous.

Quel est votre bilan en 18 ans d’existence ?

Le bilan est très grand. On pourrait en faire un grand livre. Je peux dire que nous faisons l’accompagnement. En 18 ans, nous avons 674 membres actifs de notre association et nous avons accompagné de centaines de personnes. Nous avons accompagné des réfugiés, des détenus, des personnes de troisième âge, des personnes handicapées, etc. En 18 ans d’existence, nous avons beaucoup fait. Nous avons participé à la transformation sociale au Cameroun.

En créant l’association en 2002, le mouvement associatif n’était pas comme celui que vous voyez aujourd’hui. Nous avons par exemple accompagné des gens en prison, nous en avons sorti plusieurs, nous avons apporté l’assistance alimentaire, juridique, l’assistance judiciaire des gens en prison, nous avons permis d’accompagner les gens administrativement et juridiquement et beaucoup de personnes sont été réinstallées à l’étranger, aux Etats-Unis, en Australie, au Canada, en Suède, grâce à nous.

Nous avons contribué à l’éducation des enfants, nous avons contribué aux activités génératrices de revenus, nous avons même accompagné les femmes à la création d’un GIC pour leur permettre d’organiser et de structurer leurs activités génératrices de revenus. Nous avons même eu la confiance de beaucoup de partenaires. En 18 ans, l’Union européenne nous a fait confiance, elle nous a soutenu financièrement pour mener des activités, donc c’est un signe de crédibilité pour notre association. Nous avons reçu l’argent des ONG françaises, c’est un signe de crédibilité.

Nous avons reçu l’argent des partenaires au niveau local et au niveau africain. Nous avons voyagé, nous avons été au Maroc et au Burundi grâce à l’Arsf. En ce qui concerne le Cameroun, nous connaissons toutes les dix régions, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest grâce à l’Arsf. L’association a participé pendant ses18 ans d’existence, à tout le mouvement associatif au Cameroun. Nous sommes membres de Dynamique citoyenne, dans laquelle nous avons occupé à un certain moment, le poste de responsable des droits de l’homme, nous avons été le relai dans la région du Littoral par exemple avec le projet Pasoc. Nous avons soutenu et accompagné à un moment donné Un Monde Avenir dans sa lourde tâche de structurer et d’organiser la société civile dans la région du Littoral. Donc on peut dire que le bilan est vraiment grand, important pour continuer. Il y a encore beaucoup de choses à faire.

Parlant justement de la relation avec vos partenaires, vous en avez cité un bon nombre, mais vous avez oublié le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Quel est le rapport que vous entretenez avec cette agence spécialisée de l’Organisation des Nations-Unies ?

Disons que le HCR, c’est un partenaire privilégié, mais le HCR au niveau du Cameroun ne fait pas le travail qui doit être fait, donc se trouve comme tortionnaire, c’est-à-dire que c’est lui qui fait du mal aux réfugiés. Quand nous défendons les droits des réfugiés, nous les défendons contre le HCR d’abord. Et après contre le gouvernement parce que c’est eux qui ont la responsabilité de traiter mieux les réfugiés.

Je vous apprends qu’au Cameroun, en 18 ans, il n’existe pas de système d’accueil des réfugiés. Quand les réfugiés arrivent ici, ils vont au HCR, on les pose des questions, mais rien n’est prévu pour dire que vous allez dormir où ? Vous allez manger quoi ? Vous allez vous soigner comment ? Donc le HCR ne fait pas son travail comme il se doit.

Je parle ici des agents du HCR du Cameroun, pas du HCR en tant que tel parce que nous entretenons des relations importantes avec le siège du HCR à Genève, nous entretenons des relations avec le HCR à Paris, et avec les autres partenaires. Vous vous souviendrez que quand le Secrétaire général actuel de l’Onu était encore Haut-commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, Antonio Guterres, quand il est venu au Cameroun, il a fait l’honneur de nous recevoir et nous lui avons transmis le rapport avant qu’il ne rencontre le président de la République. Nous pouvons dire que les relations avec le HCR sont au beau fixe, il n’y a pas de problème avec l’institution, mais il y a le problème avec la gestion des réfugiés par les agents du HCR au Cameroun.

De façon globale, quelle est la situation des réfugiés au Cameroun ?

Vraiment de façon globale, la situation des réfugiés au Cameroun est catastrophique. Parce que les réfugiés vivent dans l’extrême précarité, dans l’extrême vulnérabilité. Je vous ai dit que si on n’accueille pas quelqu’un, on ne peut pas connaître ses problèmes. En dehors des documents qu’on vous donne, il n’y a rien d’autre.

A l’heure actuelle, je vous fais la primeur, il y a un risque que les réfugiés se retrouvent dans la situation de 2001 ou 2002, quand ils n’avaient pas de papiers. En 2016, le HCR a envoyé une mission de Genève ici pour faire l’identification de tous les réfugiés et leur accorder des cartes d’identification des réfugiés de 5 ans. La plupart de toutes ces cartes vont prendre fin le 31 décembre 2020 et il n’y a aucune disposition qui est prise, que ça soit par le gouvernement, que ça soit par le HCR, pour que ces cartes soient renouvelées, et depuis 2016 jusqu’aujourd’hui, il y a plus de nouvelles personnes qui ont le statut de réfugié.

Donc la situation est grave et nous risquons de tomber dans la situation des Rwandais où ils avaient des cartes de réfugiés délivrées par le gouvernement et un moment donné, le gouvernement n’a pas renouvelé les cartes, et ils se sont retrouvés dans l’insécurité totale. Les réfugiés risqueront de se retrouver en janvier 2021 en situation irrégulière, parce qu’ils n’auront plus de papiers, tous les papiers auront expiré. Ça c’est notre préoccupation majeure.

Pour sortir de notre entretien président, on constate que l’Association des réfugiés sans frontières est de moins en moins active sur le terrain. Qu’est-ce qui justifie ce retrait soudain?

C’est un secret pour personne, au Cameroun, le gouvernement ne subventionne pas les associations. Les associations vivent généralement avec les cotisations de leurs membres. Et pour ce qui concerne l’Association des réfugiés sans frontières, nos membres sont essentiellement des réfugiés, et comme ils n’ont pas de travail, ils n’ont pas d’argent, même les 500 FCFA qu’ils doivent cotiser par mois, ils n’arrivent pas à le faire.

Donc on n’a pas d’argent et le gouvernement ne subventionnant pas, nous avons souvent des difficultés de fonctionnement. Tant que nous n’avons pas un projet financé par un bailleur de fonds, nous sommes dans l’immobilisme total. Le problème qui se pose, ce n’est pas que nous ne sommes pas présents, nous sommes là, mais nous ne sommes plus visibles comme il se doit parce que pour mobiliser la presse, il y a des moyens financiers qu’il faut mettre en jeu et comme on n’en a pas, on donne l’impression de ne pas être là, mais nous sommes toujours là.

Propos recueillis par Didier Ndengue

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