Un certain nombre d’affaires qu’on peut qualifier « d’affaires d’État » parcourent actuellement le champ sociopolitique camerounais et font des vagues dans l’opinion publique. On peut ainsi citer l’affaire Savannah du nom d’une société créée dans le cadre de la gestion du pétrole tchado-camerounais ; de l’affaire Danpullo du nom de cet homme d’affaire camerounais qui a obtenu la condamnation de MTN et Chococam, deux sociétés détenues par une banque sud-africaine avec laquelle le groupe Danpullo est en conflit ; enfin l’affaire Berthon du nom de l’ambassadeur français des LGBT qui avait programmé une visite au Cameroun, laquelle a soulevé un tollé dans l’opinion et amené le Gouvernement à prendre position contre.
Etienne de Tayo
BrèvesCamerounLe ChroniqueurTribune Libre

Affaires d’Etat : de l’éditorial, parlons-en

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Un certain nombre d’affaires qu’on peut qualifier « d’affaires d’État » parcourent actuellement le champ sociopolitique camerounais et font des vagues dans l’opinion publique. On peut ainsi citer l’affaire Savannah du nom d’une société créée dans le cadre de la gestion du pétrole tchado-camerounais ; de l’affaire Danpullo du nom de cet homme d’affaire camerounais qui a obtenu la condamnation de MTN et Chococam, deux sociétés détenues par une banque sud-africaine avec laquelle le groupe Danpullo est en conflit ; enfin l’affaire Berthon du nom de l’ambassadeur français des LGBT qui avait programmé une visite au Cameroun, laquelle a soulevé un tollé dans l’opinion et amené le Gouvernement à prendre position contre. Du fait sans doute de la connotation diplomatique qu’elles portent et des enjeux qu’elles charrient, toutes ces affaires ont mérité l’attention bienveillante du Gouvernement.

En général, lorsqu’une affaire éclate, et au-delà de l’interdiscursivité ambiante, l’opinion publique guette toujours la position officielle du  gouvernement considérée comme la position inaugurale qui permettra de structurer le débat dans l’espace public. Cette position officielle du gouvernement peut être donnée à travers un ou plusieurs communiqués officiels. Tel que le prévoit le dispositif, elle est souvent précédée d’un ensemble d’éditoriaux (pour ce qui est des médias à capitaux publics) destinés à la prévenir. Elle est ensuite suivie d’autres éditoriaux destinées  à la conforter. Vous avez compris que dans cette étude, nous nous intéresserons essentiellement aux éditoriaux produits par les médias à capitaux publics. Et traitant de ces éditoriaux, nous n’entrerons pas dans le fond puisqu’il n’est pas question de contenu mais plutôt de procédures qui sont un préalable au contenu et une condition de la réussite du processus.

Au fil de ces trois affaires, des éditorialistes ont produit des éditoriaux mais à ce jour, un seul semble faire des gorges chaudes dans la profession et même en dehors. Il s’agit de celui produit dans le cadre de l’affaire Danpullo par un certain éditorialiste de la CRTV, François Marc Modzom pour ne pas le nommer. Cet éditorial intitulé : « Affaire Baba danpullo ou la xénophobie dans les affaires », a été produit dans la rubrique « Micro majeur » du poste national de la CRTV et repris dans le site web de ce média d’Etat. Il est reproché à l’éditorialiste le fait d’avoir convoqué abusivement le patriotisme économique  pour masquer ce qui peut ressembler à une défense d’intérêts particuliers dans cette affaire,  tantôt d’avoir outrepassé ses prérogatives d’éditorialiste, tantôt d’avoir fait un éditorial parfaitement déséquilibré ou encore de vouloir forcer la main au gouvernement dans une affaire où sa position officielle reste attendue. C’est vrai que la posture de ses contempteurs, des avocats ou des communicants d’en face, n’est pas dénuée de tout intérêt personnel.

Comme nous l’avons dit plus haut, nous ne discuterons pas du contenu de l’éditorial incriminé dans cette affaire mais nous tenterons de construire la posture professionnelle de l’éditorialiste en répondant à ces questions qui régulent dans l’espace public en général et dans l’instance politique en particulier, les relations entre les journalistes et les politiques. C’est quoi donc l’éditorial ? Qui écrit l’éditorial ? Quand, pourquoi et pour qui écrit-on l’éditorial ?

La leçon de chose

La théorie nous enseigne que l’éditorial est un genre journalistique qui donne à savoir la position ou le point de vue de l’éditeur ou de la rédaction d’un média sur un thème d’actualité. Dans un média à capitaux publics, l’éditeur c’est l’Etat représenté par le Gouvernement. L’éditorial peut être produit aussi bien dans la presse écrite que dans les médias audiovisuels. Que l’on soit dans l’un ou dans l’autre, l’éditorial doit avoir une position privilégiée dans la mise en page du journal ou dans la programmation audiovisuelle. Dans tous les cas, il est à l’ouverture du journal pour dire que personne ne doit le rater. Il est la vitrine idéologique du média. C’est la porte d’entrée. Le type textuel de l’éditorial doit être l’argumentatif plutôt que le narratif.

L’éditorial est produit par un éditorialiste qui est un représentant privilégié de la rédaction. Dans la profession, il doit imposer le respect autant par son charisme, son intégrité, son pedigree et son profil professionnel en général. Il doit être charismatique pour approcher et diner avec les « grands » sans complexe. Il doit être intègre pour mériter la confiance de sa hiérarchie et le respect de ses interlocuteurs. Il doit être intelligent pour détecter très vite où est l’intérêt supérieur de l’État et le défendre quoi que cela lui coûte. Il doit être courageux pour ne pas faiblir face  à la pression de l’opinion lorsque sa position a été donnée. Il doit être talentueux pour savoir se faire aimer de ses interlocuteurs et obtenir d’eux la matière première nécessaire à la rédaction de ses éditoriaux. Il doit être assez indépendant et à l’abri du besoin pour que sa position ne laisse pas transparaître un quelconque conflit d’intérêt.  Mais le problème aujourd’hui, c’est que beaucoup d’éditorialistes n’ont pas pris conscience de leurs missions et responsabilités, d’abord dans leur média, dans le landerneau politique et dans la société en général. Pour beaucoup, c’est juste un grade comme un autre qui permet de pantoufler et d’améliorer le salaire.

Comme nous l’avons vu, l’éditorial est produit dans un média d’État lorsqu’une affaire secoue l’opinion et nécessite une position officielle du Gouvernement. Il est destiné à anticiper sur cette position et préparer l’opinion à bien l’accueillir et il est ensuite destiné à préciser cette position pour permettre à l’opinion de l’assimiler et de l’accepter. A ce jour, le Cameroun a connu un seul vrai éditorialiste en la personne de Henri Bandolo qui réunissait presque toutes les qualités liées à cette fonction. Sous Ahidjo, lorsqu’une affaire secouait l’espace public, Henri Bandolo était invité à dîner avec le Président Ahidjo de qui il tirait les bribes de la position officielle qu’il distillait ensuite à travers ses éditoriaux. Et plus tard, lorsque la position officielle était donnée, tout le monde était d’avis que Bandolo est un grand éditorialiste qui sait lire la météo politique. Par la suite, lorsque les membres du Gouvernement étaient au courant de ce qu’il dîne avec la Président de la République, tout le monde était à ses pieds pour lui offrir des informations qui ont fait de lui le grand éditorialiste que nous avons admiré. Juste un bémol pour dire que l’aîné Bandolo a évolué dans un contexte dit de clôture de la signification presque sans concurrence. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais ce qui ne peut pas non plus nous permettre d’absoudre les manquements des éditorialistes du 21e siècle.

Un cas d’école

Que l’on soit au Cameroun ou ailleurs dans le monde, l’éditorialiste du média d’Etat  n’a pas de position personnelle qui ne soit le reflet parfait de la position officielle du gouvernement en construction ou déjà donnée. Cette position officielle est construite à la Présidence de la république avec les apports de la primature, du Ministère des relations extérieures, du Ministère de la communication dont le titulaire est porte parole du Gouvernement et du Ministère concerné par le problème posé. Pour une conduite harmonieuse de ce travail et dans le but de ne pas embarrasser ou contrarier les éditorialistes, tous ceux qui participent à cette construction de la position officielle du Gouvernement doivent adopter en tout temps et en tout lieu la posture d’homme d’État dont la posture ne doit souffrir d’aucun doute quant à sa volonté de servir les intérêts supérieurs de l’État et rien que ces intérêts supérieurs. A contrario, si la position des politiques est fragmentaire, l’éditorial ne sera qu’un assemblage de sons de cloche dissonants.

Il peut arriver que la position du gouvernement soit intenable pour les éditorialistes, ceci à cause d’un certain nombre de contraintes qu’elle leur impose. Face à cela, l’éditorialiste doit, autant que possible, s’adapter à la conjoncture et puiser dans le courage que nous avons évoqué plus haut pour résister  à la pression sociale. Mais il arrive qu’à cause de l’ampleur de cette pression, qui peut se muer en menace de mort, l’éditorialiste craque. C’est ce qui est arrivé au Cameroun en 1990 lorsqu’après avoir défendu la position du gouvernement dans l’affaire du lancement heurté du Social Démocratic Front (SDF) à Bamenda, deux éditorialistes de la CRTV, Antoine Marie Ngono et Zacharie Ngniman avaient été amené à présenter leur démission au Ministre de l’Information de l’époque, un certain Henri Bandolo, ironie du sort. Ces deux notables de la radio dénonçaient ce qu’Antoine Marie Ngono qualifie aujourd’hui de « chape de plomb qui étouffait la presse officielle » de ces années-là. Il précise en ces termes : « Notre lettre visait à obtenir plus de liberté aussi pour la presse publique ». Au terme de cet épisode, les deux éditorialistes n’avaient pas été sanctionnés. Ils avaient même reçu des promotions. Ce qui ne fut pas le cas du ministre qui avait été remercié. En pareille circonstance dans les milieux politiques, on dit qu’il a payé politiquement.

Etienne de Tayo

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