Des couturiers installés en plein air dans cet espace marchand réfectionnent au quotidien des vêtements déchirés. L’activité nourrit son homme. Reportage.
Marché central situé dans le 2ème arrondissement de la ville de Douala, capitale économique camerounaise. Ça grouille de monde aux premières heures de ce vendredi 8 juillet 2022. Les visiteurs de l’un des plus grands centres commerciaux de la métropole économique se marchent carrément dessus. Des femmes et jeunes filles communément appelées «tacleuses», se baladent avec leurs marchandises sur la tête ou dans des sacs à dos. Ici, les commerçants sont à la chasse des clients. Ils tentent de séduire les passants en lançant quelques expressions : «1500 FCFA la ceinture», «ma chérie vient prendre ta robe…».
Train de vie
Au lieudit «derrière la poste de New Bell», des étals de fortune faisant office des comptoirs sont détruits. «Nous ne savons pas pourquoi on a cassé. Nous sommes arrivés ce matin et avons constaté ces casses», s’étonne une commerçante ambulante visiblement pressée de présenter ses articles aux passants. Non loin de là, l’on aperçoit des hommes et femmes assis devant leurs machines à coudre. N’allez surtout pas regarder la qualité des machines utilisées par ces couturiers. La plupart sont de l’ancienne technologie. Elles fonctionnent à l’aide des pédales.
Bien installés ici depuis des décennies, ils ont pour principale activité les retouches des vêtements. Ces raccommodeurs sont au service de toutes les couches sociales. «Je suis ici au Marché central depuis le 1er janvier 2000. Au départ, nous étions installés au niveau du gazon, on nous a menacés pour nous ramener ici à la poste. Nous faisons presque tout. La base c’est la retouche des vêtements déchirés à partir de 200 FCFA et 2000 FCFA pour la couture. Mais je suis d’abord un tailleur puisque je suis en train de confectionner un vêtement», explique Abou, l’un des doyens des lieux.
Le rafistolage des vêtements déchirés permet à ces hommes et femmes de subvenir aux besoins familiaux. Certains disent avoir appris la couture dans des écoles de formation et d’autres sur le tas. Mais chacun y trouve son compte. Njoya Abdou exerce cette activité depuis 25 ans. «Avant, se souvient-il, on appelait les stoppeurs parce qu’il y a seulement les gens qui fermaient les trous sur la veste, un pantalon, une chemise ou une gandoura. Aujourd’hui, on retrouve les tailleurs, les stoppeurs, les raccommodeurs. Il y a même les licenciés et bacheliers qui ont appris la couture sur le tas.» Il poursuit : «C’est le champ des orphelins ici. Nous trouvons notre pain quotidien. Nous envoyons nos enfants à l’école. C’est mieux ainsi que d’aller voler.»
Une clientèle satisfaite
Parmi leurs nombreux clients, on retrouve des adeptes de l’habillement, visiblement satisfaits de leurs résultats. Dans un monde en perpétuelle évolution, ces couturiers ont la capacité d’arrimer un vêtement à la mode. «Je suis venu voir mon tailleur avec mes pantalons à vendre parce que je veux faire les ‘’boysfriends’’. Les filles d’aujourd’hui aiment beaucoup ce style vestimentaire : les jeans destroy», explique un revendeur de friperie, joyeux. Tout près de lui, un jeune homme, victime d’un incident sur le chemin du travail, est venu faire raccommoder son pantalon. «J’allais au boulot, j’ai emprunté une moto. Au moment de m’asseoir, mon pantalon s’est déchiré et je suis là pour réparer ce trou», rapporte-t-il tout souriant.
Sécurité et difficultés
Ils sont en tout 150 couturiers installés à la poste de New-Bell. Ils sont sous la houlette du chef du quartier Makea, Sa Majesté Aboubakar. Si l’installation ici est libre et gratuite, tous les nouveaux occupants doivent au préalable être identifiés. «Pour s’installer ici, le chef du quartier enregistre chacun avec sa carte nationale d’identité. Sa Majesté Aboubakar n’exige pas une somme d’argent pour occupation d’espace. Tout ce qu’il demande c’est 1000 FCFA chaque fin du mois pour pouvoir assurer la propreté sur le lieu. C’est lui qui veille sur notre sécurité. Il n’accepte pas que les petits délinquants nous dérangent. C’est un père de famille, il dialogue beaucoup avec nous et nous donne des conseils par rapport à notre activité», précise Njoya Abdou.
Exerçant dans le calme et la concorde, la concurrence reste le seul petit caillou dans leurs chaussures. «Où il y a les êtres humains, il y a toujours la concurrence. Ce qui fait la force de chacun ici c’est la manière de retoucher ou de confectionner le vêtement du client. Même si tu es dans l’eau le client viendra te chercher», explique Njoya Abdou. Parmi leurs nombreuses difficultés, ils citent les problèmes liés aux inondations qui leur font vivre le calvaire. Faute d’un abri, ils sont obligés d’installer leurs outils de travail après les pluies. Toute chose qui fait perdre les clients.
Ruffine Moguem
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