Les enseignants militent de plus en plus pour l’insertion des œuvres des auteurs camerounais dans la liste officielle des manuels scolaires.
A quelques jours de la rentrée scolaire 2022 – 2023 au Cameroun, certains libraires mettent déjà l’accent sur la commercialisation des livres, des cahiers et autres fournitures. Dans une librairie bilingue au lieudit ‘’Douala Bar’’ à Akwa, dans le 1er arrondissement de la ville de Douala, les manuels scolaires achalandent les rayons. Des livres scolaires de diverses matières y sont exposés. On y retrouve également des cartables, cahiers, stylos, ardoises, boites de craie, couvertures pour cahiers, boites à couleurs et divers autres outils pour préparer la rentrée scolaire de septembre prochain.
Ces manuels scolaires sont fournis par des distributeurs locaux. «Nous sommes en partenariat avec plusieurs sociétés comme Messapresse et le Comptoir Unique qui nous livrent les livres du primaire et du secondaire. Pour la plupart, ce sont des manuels scolaires originaux importés. J’insiste sur le mot ‘’original’’ parce que certains fournisseurs locaux font la photocopie, c’est-à-dire le faux», explique Mireille Kamko, responsable de cette librairie.
A un jet de pierre, se trouve le siège de la librairie Le Comptoir Unique, l’un des plus grands distributeurs des livres scolaires dans la ville de Douala. Ici les manuels sont vendus dans des cartons en gros et en détails aux libraires et aux responsables d’établissements scolaires. «Depuis quelques années, il y a une chaîne qui se fait. Ça veut dire qu’on quitte des éditeurs locaux pour les distributeurs que nous sommes. Après les distributeurs, on prend les libraires qui à leur tour distribuent les livres scolaires aux parents. Très souvent, c’est compliqué, car tous veulent à la fois être libraires et distributeurs mais nous, à notre niveau, nous respectons la chaîne», relate Stéphanie Tiani, présidente directrice générale de Le Comptoir Unique.
A la veille de la rentrée scolaire, le business du livre est florissant. Cet outil essentiel pour les apprenants et les enseignants occupe une place de choix. Le secteur emploie une myriade d’acteurs (éditeurs, libraires, distributeurs…).
Maillons forts dans la chaîne de distribution du livre scolaire, les éditeurs camerounais optent pour les commandes à l’étranger au grand dam des imprimeurs locaux pour des raisons diverses : «Les livres vendus en librairie aujourd’hui viennent pour la plupart de l’étranger. Les éditeurs locaux préfèrent imprimer à l’extérieur parce que les coûts sont moins élevés que les prix fixés par le gouvernement camerounais. Par exemple un livre de la maternelle qui coûte 1000 FCFA au Cameroun, s’il faut l’imprimer sur place, ça reviendra à 1300 FCFA. Donc les éditeurs préfèrent aller imprimer à l’étranger parce que l’encre et les papiers sont taxables à la douane. Pourtant le livre scolaire en produit fini est exonéré par la douane», explique Apollinaire Ngassa, président du Syndicat des libraires et papetiers du Cameroun (Synalipac).
Lavage de cerveaux
Dans l’enseignement secondaire au Cameroun, les manuels scolaires inscrits au programme, d’après les enseignants approchés par La Plume de l’Aigle, font toujours la promotion des valeurs occidentales. Ils affirment que les auteurs camerounais sont victimes d’un système éducatif qui n’a pas complètement rompu avec les habitudes coloniales. « Il y a encore quelques matières où on a des auteurs étrangers notamment dans l’enseignement technique francophone et encore plus dans l’enseignement technique anglophone. Ce qui veut dire que dans ces cas, on ne peut même pas s’attendre à ce que l’écriture soit une écriture africaine ni camerounaise », s’indigne Roger Kaffo Fokou, Secrétaire général du Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (Snaes).
Il renchérit : «Nous sommes dans une approche pédagogique où les textes ont une très grande importance. C’est difficile du jour au lendemain d’africaniser ou de camerouniser les corpus qu’on utilise parce qu’ils sont des extraits d’ouvrages de référence classiques qui relèvent des travaux de recherches du niveau universitaire et de publications scientifiques. Si vous voulez par exemple faire une leçon sur la description et que vous cherchez un corpus approprié, si vous ne trouvez pas tout de suite un corpus africain qui est vraiment adapté à la leçon, vous n’allez pas, en tant que pédagogue dit que vous privilégiez d’abord les auteurs africains.»
Le pédagogue suggère : «Ce serait bien si nos écrivains étaient plus valorisés, si on faisait un travail de promotion de l’écriture chez nous. Je pense aux grandes maisons d’éditions qui ont des ressources suffisantes à la fois pour prendre en charge la réception et la production des manuscrits pour en faire des livres et qui ont en même temps les moyens de la diffusion de ces livres.»
Même si le système éducatif camerounais est totalement encré dans la logique coloniale, Charles René Koung, président du Syndicat national des instituteurs contractuels et maîtres des parents (Snicomp) pense que «des efforts ont été faits par rapport à la localisation des enseignements notamment avec les manuels au programme dans le primaire, qui de plus en plus, sont recrutés parmi les auteurs africains et camerounais. Nous avons d’ailleurs des maisons d’édition camerounaises qui sont de plus en plus concernées par le manuel scolaire dans notre pays. Nous avons par exemple Cosmos, Africa education, etc. Nous avons des livres comme ‘’Champions’’, ‘’Majors’’, ‘’Les Brillants en technologies de l’information et de la communication’’, qui sont également privilégiés. De plus en plus la main tendue vers l’extérieur se rétrécie et on observe plus une émulation des frères camerounais, africains dans la production des manuels scolaires.»
En déphasage
Au moment où la culture occidentale prend un coup dans le système éducatif camerounais, Charles René Koung regrette le fait que les manuels scolaires ne soient pas adaptés au contexte local : «Le seul problème qui demeure, c’est que nos enseignements ne tiennent pas encore totalement compte de nos réalités culturelles locales. On continue de former les apprenants juste pour avoir des diplômes et non pour être professionnels.»
Pour cet instituteur, la professionnalisation doit débuter à l’école primaire. Il estime que «l’enfant, au sortir de l’école primaire soit en mesure de s’insérer harmonieusement dans la société, même s’il n’a pas pu poursuivre ses études secondaires»,
Ruffine Moguem
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