Par Didier Badjeck, Directeur de la Cameroon Prospective and Consulting
« L’ambassade des États-Unis dément catégoriquement les affirmations contenues dans des récents articles de presse truqués selon lesquels l’ambassade des États-Unis auprès des Nations Unies, Kelly Craft, aurait récemment annoncé des prétendues intentions des États-Unis concernant une éventuelle intervention militaire au Cameroun. Les États-Unis n’ont aucun intérêt ni aucune intention de cette nature […] De même, contrairement à ce qui a été affirmé dans récents articles factices, ni le Sénat américain ni l’ensemble du Congrès américain n’ont tenu de débat sur une quelconque intervention américaine au Cameroun, ni pris de mesures pour l’approuver ». C’est en des propos fermes et non-équivoques que la mise au point du communiqué de l’ambassade américaine vient de détricoter des allégations d’instigateurs qui, au-delà de n’avoir rien compris des relations internationales, affichent une incurie inquiétante pour des forces qui proposent une alternance politique.
Pour atteindre leurs objectifs, ils font feu de tout bois
Il ne s’agit plus visiblement d’accéder au pouvoir par des moyens démocratiques pour une aile anarchique de la scène politique camerounaise qui propose désormais aux puissances de s’ingérer matériellement dans ses affaires intérieures, même si cela a toutes les chances de conduire à la destruction de ce pays-pivot d’Afrique Centrale. Les instigateurs de ces manœuvres d’un nouveau genre s’étaient pourtant affichés comme les rédempteurs alternatifs sous leur futur magistère. C’est vrai qu’en politique, tous les moyens sont efficaces quand l’on poursuit un effet final, mais il apparaît au demeurant, que des moyens aussi vils questionnent même sur l’intégrité morale et patriotique de leurs géniteurs qui misent par ricochet de la même action, sur le retour au galop de la période coloniale. Un tel projet rétrograde ne peut que mettre à nue, la dimension égo narcissique de ces initiateurs qui, incapables d’opposer des réactions symétriques et appropriées dans un champ conventionnel, caressent alors d’utiliser tous les raccourcis, même au détriment de la souveraineté de leur pays.
Ceux des managers qui ne vont pas s’armer d’outils de prospective à des fins d’analyse stratégique seront affectés par une infosphère en ébullition, où réalité et rumeur se frayent une pertinence, surtout, depuis l’implacable montée en puissance du Web 2.0. À ce propos, l’ambassade des États-Unis fait bien de clarifier sa position pour écarter toute concupiscence avec une rumeur qui a fini par enfler en surexposition médiatique. Il faut s’accoutumer à la réalité que les réseaux sociaux sont devenus de véritables acteurs de la vie politique mettant plus que la passé, une véritable opposition entre les gouvernants et les gouvernés et accordant par voie de conséquence, une place davantage prépondérante à l’opinion. Ce qui n’est pas pour être un délit d’ailleurs, car la maturité d’une démocratie passe aussi par celle de l’opinion, sous réserve par contre que son cadre d’expression reste éthique et que les débats qui s’y rapportent soient empreints tout au moins d’une déontologie sociopolitique et en respect des règles élémentaires, quand le purisme scientifique viendrait à être écorché.
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La communication externe vise quant à elle, à favoriser la compréhension des idées maîtresses des managers ; elle se doit d’être lisible et permet le décryptage conceptuel de l’organisation. Revenant aux allégations qui appellent du pied une intervention militaire de la plus grande puissance du monde pour mettre fin à un ordre constitutionnel, celles-ci ne peuvent se départir de leurs initiateurs idéologiques dont les grandes manœuvres de ces derniers mois n’ont construit que des politiques de déni de cet ordre. En stratégie de communication, ces manœuvres se rangent dans les actions de la « Dark Web », qui supposent l’utilisation de moyens d’influence non-éthiques par des individus apparemment déconnectés de leurs sources pour atteindre des opinions vulnérables et les soumettre à leur volonté. Les modus operandi menés dans le périmètre de nouvelles technologies visent des actions de harcèlement, de chantage, d’intimidation, de manipulation. Il est à relever par ailleurs, la proximité connexe de ces vices aux travers de l’espace cybercriminel tels que la pédopornographie, le « Happy Slapping », le vidéo lynchage, la vidéo agression, le « bashing » ou la cyberintimidation. L’on est en droit en effet de se poser des questions sur la qualité de la vertu des instigateurs qui appellent le chaos de tous leurs vœux et à qui certains médias donnent pourtant la voix à des occasions de grande écoute…
Si les nouveaux espaces de contestation et de reconstruction de la politique comme le pense Coralie Richaud[1], ont le mérite d’opposer une horizontalité hiérarchique à la verticalité traditionnelle, poussant chaque internaute à se sentir capable de juger, ce qui n’est pas seulement le fait du Cameroun mais d’un nouveau paradigme sociopolitique, cela donne-t-il le droit à chaque individu d’exposer de manière ostentatoire son incurie ? Surtout lorsqu’il s’agit de principes sacrés de relations internationales concernant des sujets délicats comme l’intervention humanitaire et l’ingérence humanitaire, prises comme argument notionnel dans la dernière imposture en date des ‟illuminés de la toile”. Nous ne reprochons pas ici, l’émancipation des acteurs du Web favorisée par l’explosion de l’écrit virtuel et le partage d’infos textuels, via la montée en puissance des supports Facebook en 2004 et Twitter en 2006, mais nous dénonçons une utilisation criminelle de ces moyens lorsqu’ils sortent de leur lit contestataire pour poursuivre des buts inavoués de déstabilisation, de manipulation ou de trouble à l’ordre public. Il faut dire que les manipulateurs partent souvent de racines cognitives fondées, pour divaguer ensuite et convaincre les opinions. Dans le cas précis de cette tribune, nous percevons que l’appel construit par la quintessence d’écrits en direction d’une intervention militaire, prend sa source sur un point du droit international mal appréhendé, ou apprécié à mauvais escient et de mauvaise foi, sur le concept concernant l’intervention humanitaire et l’ingérence humanitaire.
Intervention humanitaire et ingérence : deux notions complexes
La notion d’intervention humanitaire n’est pas récente. Elle apparaît déjà à la fin du 19e Siècle et va donner lieu successivement au droit international humanitaire classique (Droit de la Haye) et au droit international humanitaire moderne parfois appelé « Droit de New York », recouvrant le droit, le devoir d’ingérence et de responsabilité étatique et internationale de protéger les populations en situation de crise sous la gouverne du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cela n’abroge pas la notion de non-ingérence qui précise le droit pour tout État souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure, droit qui procède d’un principe coutumier universellement applicable. Il y aurait lieu de faire une discrimination entre l’intervention et l’ingérence.
- L’intervention consiste en une opération matérielle. C’est dans ce sens que le terme a été employé dans un arrêt de la CIJ du 9 avril 1949, lorsque l’Albanie ne fut pas à même de déminer le Détroit de Corfou et que cette opération ait été menée finalement par le Royaume Uni ;
- L’ingérence résume tout acte qui interfère avec la conduite des affaires intérieures de l’État, sans emploi de la force et peut se traduire par des pressions économiques et politiques. L’ingérence est une intervention contre l’avis de l’État.
L’Article 2§7 de la Charte des Nations Unies à son tour, précise « qu’aucune disposition n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de compétence nationale d’un État ». À partir des années 2000, le terme d’ingérence disparaît de la sémantique onusienne pour être substitué par la « responsabilité de protéger ». Les écarts opiniâtrement opérés par la coalition concernant la résolution 1973 dont le mandat se limitait à une interdiction aérienne sur la Libye et qui ont conduit à l’assassinat du Colonel Mouammar Kadhafi prouve la complexité de ce principe de droit international qui, sans utilisation précautionneuse, pourrait être abusif à tous égards. En effet, la responsabilité de protéger est restée silencieuse sur les moyens à utiliser dans ce cas, en proscrivant en tout état de cause mais de manière claire cependant, des opérations au sol. Il faut remarquer que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes leur permet d’exprimer leur volonté ontologique, et celle de s’établir en tant qu’État. C’est le dernier critère qui caractérise cette entité, après le territoire, la population et la gouvernance. Au niveau interne, l’État choisit en toute liberté son mode d’organisation tant il est vrai qu’au niveau externe, il imprime en toute souveraineté son statut qu’il est tenu de respecter. C’est pourquoi dans la grande majorité du contenue des constitutions (c’est le cas dans la Constitution du Cameroun-Art. 5 Chapitre I), le Président de la République est le garant du respect des traités et accords internationaux.
Les appels de détresse que couvent à présent les cris des ‟négociants de l’intervention étrangère au Cameroun”, participent d’abord d’une méconnaissance criarde des bases du droit international, adoubée d’un programme d’avilissement féodal sui generis aux instincts de prédateurs. Sinon, rien ne justifie qu’au crépuscule de 2020, des hommes politiques de surcroît, soient à rappeler la cavalerie coloniale à grand renfort, au lieu d’épuiser les voies de dialogue, de débats constructifs ou de suggérer des voies pertinentes de développement. Le dialogue reste la solution de toute crise, même dans le cas de solutions à minima ; il est préférable à toute forme de violence. C’est ce que veut dire le communiqué de l’ambassade américaine quand il conclut qu’« en tant qu’ami et partenaire du Cameroun, la position des États-Unis demeure constante. Nous appelons les deux parties au conflit dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest à renoncer à la violence et engager un dialogue ouvert ». L’État pendant ce temps, poursuivra ses missions régaliennes, dont l’une des plus importantes est la défense de l’intégrité territoriale, des personnes et des biens.
[1] Voir Coralie Richaud « les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2017/4 N°57 » pp 29-44 Cairn.info
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