Aux Etats-Unis, l’information n’a pas bénéficié de l’écho qu’elle mérite. Mais l’histoire retiendra que Bouna Sémou Ndiaye a enfin obtenu du Musée des Arts de la Caroline du Nord, l’unification des Galeries Africaine et Egyptienne. Un combat de plus de 20 ans que cet homme de culture a livré pour faire comprendre au Musée que l’Egypte fait partie de l’Afrique. Dans cet entretien accordé à La Voix Du Koat, le Sénégalais revient sur cette bataille et les nombreuses autres de sa vie, le combat panafricain…
LVDK : Qui est Bouna Ndiaye ?
Natif du Département de Linguère, à Barkédji précisément, j’ai fait mes études secondaires au CEG de Linguère. Nous fumes la première promotion de cet établissement qui des années plus tard, fut baptisé Lycée Alboury Ndiaye. Sur les 25 élèves présentés que comptait notre classe, 23 ont décroché le B.E.P.C.
LVDK : Et votre parcours professionnel ?
J’ai débuté ma carrière professionnelle avec l’enseignement dans la région du Sine. Après l’obtention du Bac, je fus affecté au Lycée Van Vo. Pendant que je suivais mes cours de Business English. J’étais comme la plus large majorité des jeunes de mon âge, un petit révolutionnaire et membre du SUDES (Syndicat Unique Des Enseignants Du Sénégal). Après les Séries de grèves des années 77-78, nous du SUDES fûmes affectés en brousse. On me largue à Kaba, 7Km après Khombole. J‘ai vécu cette affectation avec responsabilité et dignité, tournant le dos aux propositions alléchantes pouvant me permettre d’être réaffecté en ville à Dakar si j’acceptais d’écrire une lettre renonçant à mes convictions syndicales. Jamais je n’ai raté un cours ou suis allé en retard à l’école. Tous les mardis après mes classes, je prenais les bus “Ndiaga-Ndiaye” pour aller suivre mes cours de Business English à Dakar.
En 1982 je fus accepté par une université en Caroline du Nord pour étudier le Business Administration où j’ai gradué avec mention Magna Cum Laude après mes 4 premières années. Je poursuivis mes études intégrant le programme de MBA. Après ma première année je participe au concours d’entrée à l’école prestigieuse japonaise: The International University of Japan. Je fus accepté avec une très grande bourse offerte par le Tokyo Electric Power Company. Je m’inscrivis au programme de International Management. À la fin de mon programme, je retourne au Sénégal pour intégrer le cabinet d’expertise comptable Coopers & Lybrand.
LVDK : Comment un Directeur Adjoint d’une Université aux Usa se retrouve en même temps producteur et présentateur d’une émission de radio dans son institution ?
C’était en 1995 que je fus recruté comme « Assistant Director for Administration » dans la division de « Student Affairs » à North Carolina Central University que j’avais quitté en 1987 pour aller poursuivre mes études supérieures au Japon. Quand j’y suis retourné après un séjour de 5 ans au Sénégal, j’étais fier que mon Université ait une station radio de Jazz. Pas du n’importe quel Jazz, mais pour nous les puristes, du « Straight-Ahead Jazz ». J’avais pris le temps d’écouter la programmation hebdomadaire. Il y avait divers genres : du Jazz, au Gospel et même du Reggae. Mais pas de Musique Africaine. Je ne pouvais pas le comprendre, surtout que nous étudiants étrangers payaient 3 fois plus cher que les locaux pour les droits d’inscription. Je ne pouvais accepter cela. C’est comme ça que j’ai engagé ce combat, utilisant mes heures de déjeuner pour m’accoutumer à la technique de communication et aux procédures du Federal Communications Commission (FCC). C’était avant les CDs. Je fus discriminé car certains DJs recevaient des pécules pour acheter des CDs qui sont venus quelques mois après.
Je me suis battu jusqu’à avoir une tranche horaire dans les ondes. Dire que je n’ai pas d’argent pour faire mon émission ne doit pas être une raison. Mais la réalité est là : je ne connais pas les labels, et eux aussi ne me connaissent pas! Pendant longtemps j’ai financé l’émission sur fonds propres. Mais cela m’a sauvé quand l’émission est devenue en 2006 syndiquée et passait dans 17 stations de radio affiliées à la National Public Radio (NPR). Je gère toujours l’émission qui joue tous les dimanches de 16h00 à 18h00 (20h00 – 22h00 GMT) sur la WNCU radio wncu.org/listen-live/. De simple producteur et présentateur d’une émission, je deviens Conseiller des Festivaliers et Universités pour la programmation de leurs concerts.
LVDK : Vous faites davantage parler de vous depuis quelques jours, suite à la décision du North Carolina Museum of Art, d’unifier la Galerie Africaine et la Galerie Egyptienne. Un combat que vous avez mené depuis des années. Racontez-nous toute l’histoire depuis sa genèse…
En 1989, après avoir organisé avec un brillant succès (sur la demande de mon ami George Holt, Directeurs des programmes d’Été Africa Fête 99) que j’avais commencé ce combat. Africa Fête’99 était une tournée magnifique d’orchestres africains. Pour la première fois dans l’histoire, le North Carolina Museum of Art fut fermé pour des raisons de sécurité, tellement la demande était forte! Étant celui qui a aidé ce musée à avoir un tel succès, je fus invité à être un membre du Conseil d’administration du New world & oceanic gallery et du friends of african & african-american art, Ncma.
C’était en visitant les galeries permanentes que je me suis rendu compte que la Galerie africaine était séparée de la Galerie égyptienne, ce qui m’avait fait tiquer. Quand je m’en suis ouvert aux officiels, leurs réponses ne me paraissaient pas convaincantes. J’ai malgré cela continué ma collaboration avec le Ncma, où je fus le MC de beaucoup de concerts dont celui de Youssou Ndour (Tournée du CD Egypt), Salif Keita, AfroCubism, Orchestre Baobab… Mais chaque fois que j’entrais dans les galeries du Ncma, l’affaire de la séparation des galeries africaine et égyptienne me dérangeait! En réalité, je me sentais insulté. Que faire? II faillait une confrontation directe et sur tous les fronts: avec des gens qui peuvent être sensibles aux problèmes culturels, et sur les réseaux sociaux. J’ai en 2022 adressé une lettre au nouveau Directeur du Musée croyant qu’elle serait plus ouverte et plus sensible à ma revendication. Elle n’a pas répondu. Cela m’a offusqué. J’ai décidé de revenir à la charge avec des propos plus virulents.
En Septembre 2022 pendant que j’étais à Dakar en vacances, mon ami George Holt qui était au courant de mon combat contre le Musée m’envoya un email disant que finalement je suis écouté et que ma voix est entendue. En fait, le Musée avait programmé une exposition intitulée « the Africa we ought to know » l’Afrique qu’on aurait dû connaitre. Ceci est une très agréable nouvelle pour moi, qui aie utilisé tous les artifices possibles en passant par les écris du Professeur Cheikh Anta Diop ! En mars 2023, j’ai gagné le combat entamé depuis 1989. Les deux galeries sont unifiées.
LVDK : L’évènement n’a hélas pas été médiatisé…
Ayant appris après quelques recherches que rien n’a été publié pour informer le grand public sur l’unification des galeries j’ai contacté deux éminents journalistes, l’un de Independent aka « Indi » qui était mon camarade de classe à la fac et un autre de la « ABC Chanel 11 », une télévision très connue aux Usa. Après avoir attendu en vain une réaction positive de leur part, j’ai décidé d’écrire au News-Desk de ABC Channel 11 pour formuler ma demande de couverture de ce qui s’est passé au North Carolina Museum of Art, afin que la communauté soit informée. N’eut été ma visite la semaine dernière suivie du post sur les réseaux sociaux, une forte majorité de la population n’auraient aucune idée de ce qui s’est passé.
LVDK : Pourquoi est-ce que ce combat vous a particulièrement tenu à cœur ?
Vous savez, il y a eu des gens qui croyaient et certains qui croient toujours que les Noirs sont moins intelligents que les Blancs. Aussi, j’ai vécu dans la maison du plus célèbre professeur d’histoire sur l’esclavage aux USA. Une de mes ancêtres du nom de Anta Madjiguène Ndiaye Kingsley, une Princesse de l’Empire du Djolof, le seul Empire que le Sénégal ait connu fut volée et vendue en esclavage. Elle fut mariée, et a fini par posséder une plantation à Jacksonville en Floride. Tous ces éléments réunis ont fait que je ne pouvais rester insensible à cette bourde intentionnelle relative à l’Afrique.
LVDK : Que représente concrètement cette unification des deux galeries d’hier ?
Cette unification ne représente rien d’autre qu’un mea culpa et aussi une bonne illustration, une leçon à nous autres Africains: c’est à nous de nous occuper de nos problèmes, de faire l’effort qu’il faut et d’y mettre le prix si nous voulons un changement positif. Car finalement c’est du progrès qu’il s’agit.
LVDK : Pensez-vous que les Africains et leurs dirigeants mesurent la portée de ce combat qui connaît une fin heureuse ?
Vous savez, je ne perds jamais mon temps à réfléchir sur ce que les gens pensent, eux et leur Chef d’État. Quand je vois qu’il y a un problème qui mérite une intervention, je le présente par lettre recommandée d’abord à l’autorité suprême et aux démembrements concernés. Si je ne vois aucune réaction, je le règle moi-même, à la hauteur de mes moyens ! Je l’ai montré quand le paludisme faisait des ravages dans ma chère ville Linguère, au Sénégal. Je me suis battu pour envoyer chaque année des médicaments et moustiquaires imprégnées d’abord, puis pendant les cinq années qui suivaient des moustiquaires.
Quand j’ai su que le seul bon film sur le Festival Mondial des Arts Nègres de 1966 était fait par les Russes, j’ai alerté les autorités en préparation au cinquantenaire. Elles m’ont fait valser. J’ai financé sur fonds propres, payant un cinéaste à quitter Saint-Pétersbourg (Russie) pour Moscou ; deux nuitées d’hôtels ; frais pour les Archives Nationales, et sous-titrage afin que je puisse montrer le film à Dakar. Si on aime quelque chose, il faut vouloir y mettre le prix !
LVDK : Quelle est votre analyse sur le combat panafricaniste aujourd’hui ?
Le combat panafricaniste ! Est-ce qu’on l’aime vraiment ? Est-ce qu’on y croit vraiment ? Voilà deux questions qui méritent réflexion ! Si j’ai un restaurant en Afrique et je présente le menu en Euro. Si j’ai des œuvres d’art que je confectionne et le prix est hors de portée de mon peuple car mon marché cible c’est l’occident. Si on parle de ‘‘France dégage’’ alors qu’on n’a pas renoncé au passeport Français qu’on détient… Tout cela doit nous faire réfléchir. S’il faut le faire, et je le souhaite, on doit revisiter l’histoire en prenant comme exemple l’Allemagne qui avait plus d’une vingtaine de petits pays, la Prusse… Les premiers efforts sur une base politique, le Zollverein, avait échoué. Il a fallu que cette unification se fasse sur une base économique ! Si je fais une révolution, je la fais moi-même tout seul car en m’y mettant, je suis sûr de la réussir !
Si je pouvais avoir confiance aux autres au même titre que je me fais confiance, j’aurais pensé autrement ! Aimer voir le panafricanisme, à mon avis, ne se traduit pas seulement par aller en prison ou envoyer des slogans mais par une réflexion profonde, mûre, endogène pour résoudre les problèmes de son peuple sans négliger l’éducation, scientifique, technique et civique.
Entretien avec Valgadine TONGA
Source: www.lavoixdukoat.com
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