Ancienne députée de la nation, militante du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, Marlyse Douala Bell se souvient du putsch de 1984, 37 ans après. A travers ce challenge, elle invite les témoins de ce triste évènement à dire comment ils ont vécu cette journée.
Il est 6h30, je me retrouve à l’entrée de la Sonel à Yaoundé.
Intriguée par le parcours silencieux et désert du court trajet qui séparait mon lieu de résidence, l’hôtel Terminus, de la Délégation Régionale de la Sonel pour le Centre Sud et Est, je me gare devant l’édifice et me retrouve face au portail fermé.
Je reste au volant de la Toyota Corolla qui avait été louée par l’entreprise pour faciliter mes déplacements dans la ville de Yaoundé.
En fait, j’étais en mission pour le recrutement de jeunes Camerounais titulaires au minimum d’un BAC + 2 scientifique. Après ces tests ils allaient rejoindre l’Ecole Polytechnique de Montréal. Ces cuvées annuelles de très hauts potentiels constitueront après 5 années d’études au Canada, le fleuron des Ressources Humaines du core business technique de l’entreprise (Ingénieurs, électricien, mécanicien, électromécaniciens, hydraulicien, etc…).
Cette politique de recrutement durera 5 années durant et dotera l’entreprise d’un matelas de compétences techniques extraordinaire aux côtés des AMT formés au Centre de formation de la Sonel à Bassa puis à Ombe. Pour cette élite technique, l’Ecole polytechnique de Yaoundé prendra le relais par la suite.
J’étais jeune et fière de cette mission que me confiait le top management de l’entreprise ( Mr Marcel Niat, Mr Justin Ndioro, Mr Désiré Tamba).
Il fallait réussir cette mission importante. Et ça commençait par la ponctualité. Les candidats devaient nous trouver sur le site. Les places réservées, les épreuves sous scellés.
Mon collaborateur Ernest Ewodo et mon collègue Jean Pierre Essoudouck n’étaient pas arrivés. Seul Mr Elombat présent à Yaoundé pour une autre mission m’avait rejoint sur le parking.
Au volant de la voiture, en attendant l’arrivée des autres, je mis la radio en marche pour me distraire. J’entendis alors la musique militaire.
Mon collègue Mr Elombat sorti précipitamment de sa voiture, m’invita à baisser la vitre et me demanda de rentrer en toute vitesse à l’hôtel.
» Marlyse, il se passe quelque chose de grave. Rentre à ton hôtel. Ça doit être un coup d’État« .
Les jambes tremblantes, je réussis à démarrer et à me rendre à mon hôtel.
De ma chambre à travers la fenêtre, je voyais des hommes et des femmes, de petits colis sur la tête, le regard hagard, les habits déchirés, marcher jetant de temps en temps, un regard derrière eux. Ils étaient pour la plupart suivis par des enfants fatigués qui essayaient de rattraper le pas des adultes. Je ne savais pas d’où ils venaient. Je ne connaissais pas leur destination. La connaissaient-elles eux-mêmes ? De plus en plus nombreux, ils descendaient la petite coline vers la Poste Centrale.
Je me mis à sangloter puis à pleurer sans comprendre véritablement ce qui nous arrivait. Sans comprendre ce qui arrivait à mon Pays. Nous resterons cloîtrés à l’hôtel. Le personnel étant absents, il fallait urgemment mettre en place une petite organisation pour le ménage et la restauration. Il était important de gérer prudemment les stocks. A cette activité, nous étions coachés par un expatrié qui venait du Tchad et qui en homme qui en avait vu d’autres, expliquait le regard grave » Vous savez, on sait quand ces choses commencent mais on ne sait pas quand elles s’arrêtent« _
Dieu merci ces choses se sont arrêtées au bout de quelques jours. Malheureusement elles auront laissé des séquelles.
Heureusement, elles auront contribué à notre maturité en tant que nation.
Et toi, où étais-tu le 6 avril 1984?
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