Lettre ouverte à Monsieur le Ministre des Finances du Cameroun
À l’occasion du colloque sur la dette souveraine des États de la CEMAC
Monsieur le Ministre,
Si, marchant dans la forêt, nous croisons deux fois le même arbre, c’est que nous sommes perdus. Si, dans la gestion de la dette souveraine, nous nous retrouvons encore et encore face aux mêmes crises, aux mêmes urgences budgétaires et aux mêmes négociations de dernière minute, c’est que nous sommes perdus.
Nous devons sortir de cette forêt.
Le colloque à venir sur la dette souveraine des États de la CEMAC nous offre une opportunité cruciale : celle de cesser de traiter la dette comme un simple problème comptable et de la repenser comme un véritable levier de développement. Mais pour cela, il faut briser le cycle du surendettement et de la dépendance.
- Nous ne pouvons plus nous endetter pour rembourser d’anciennes dettes
L’exemple du Gabon est révélateur. En mars 2025, ce pays a dû emprunter 520 millions de dollars à un taux de 12,7 % pour refinancer une obligation arrivant à échéance. En 2015, il avait pu lever des fonds à moins de 7 %. Ce doublement du coût de la dette est un signal d’alarme : les marchés financiers perdent confiance, et cette méfiance se traduit par un accès au crédit de plus en plus onéreux.
Notre région n’est pas à l’abri de ce scénario. En 2023, la dette publique moyenne en CEMAC a atteint 52,8 % du PIB. Certains pays dépassent déjà la limite de soutenabilité :
- Le Congo : 96 % du PIB
- Le Gabon : 70,5 % du PIB
Le risque est évident : plus nous repoussons les échéances en contractant des prêts toujours plus chers, plus nous nous enfermons dans une spirale où la dette devient un poids insurmontable.
Et chaque point de pourcentage supplémentaire sur nos taux d’emprunt, c’est moins d’écoles, moins d’hôpitaux, moins d’emplois pour nos citoyens. Lorsqu’un pays s’endette mal, ce ne sont pas des chiffres qui souffrent, ce sont des familles qui voient leurs enfants privés d’une éducation de qualité, des malades qui n’ont pas accès à des soins, des entrepreneurs qui voient leurs projets étouffés par des charges fiscales trop lourdes.
- Une dette doit financer l’avenir, pas combler les déficits du passé
Nous avons besoin d’un changement radical de paradigme : l’endettement ne doit plus être une réponse à une crise budgétaire, mais un outil d’investissement productif.
Prenons l’exemple de la Zambie. En 2020, le pays a fait défaut sur sa dette après des années d’endettement non productif. Résultat : suspension des financements extérieurs, chute des investissements privés, et une crise sociale majeure.
Que devons-nous faire pour éviter ce scénario ?
- Prioriser les investissements productifs : infrastructures de transport, énergies renouvelables, digitalisation, agriculture à haute valeur ajoutée. Chaque franc emprunté doit générer un retour économique mesurable.
- Explorer des financements innovants : obligations vertes, swaps dette-climat, financements mixtes avec des institutions de développement.
- Renforcer la coopération régionale : en négociant collectivement certaines dettes, nous pouvons obtenir de meilleures conditions de financement.
- Une réforme symbolique et stratégique de l’administration fiscale
Monsieur le Ministre, la fiscalité est l’un des piliers du développement d’un pays. Pourtant, dans notre région, elle est souvent perçue comme une contrainte plutôt qu’un levier de croissance. Nombreux sont ceux qui considèrent l’impôt comme une charge lourde, opaque et parfois même injuste.
Conséquence ? Un faible civisme fiscal, une économie largement informelle et une dépendance accrue aux emprunts extérieurs.
Mais et si le problème venait en partie du nom et de l’approche même de nos administrations fiscales ?
Aujourd’hui, nos administrations fiscales portent des noms qui évoquent la contrainte :
- “Direction Générale des Impôts”
- “Centres de Recettes”
- “Services de Fiscalité”
Autant de termes qui rappellent un prélèvement subi plutôt qu’un engagement citoyen.
C’est pourquoi nous vous appelons à un changement majeur : transformer nos Directions Générales des Impôts en Administrations des Contributions.
Ce changement peut avoir un impact immédiat et mesurable. Par exemple, au Rwanda, grâce à une modernisation de son administration fiscale et une meilleure inclusion du secteur informel, les recettes fiscales ont doublé en dix ans, permettant au pays de réduire drastiquement sa dépendance aux financements extérieurs.
Nous savons que toute réforme administrative implique des investissements. Mais ce changement de nom ne fait pas exception :
- Il faudra changer les enseignes, les documents officiels, les plateformes numériques.
- Il faudra former les agents à une nouvelle approche plus pédagogique et participative.
- Il faudra communiquer largement pour expliquer cette transformation aux citoyens et aux entreprises.
Autant de chantiers qui ouvriront des opportunités économiques : marchés pour les imprimeurs, agences de communication, experts en digitalisation…
- Un moment décisif pour la CEMAC
Monsieur le Ministre, ce colloque ne peut pas être un simple exercice académique de plus. Il doit être le moment où nous décidons collectivement de prendre un autre chemin, celui de la souveraineté économique, de la justice fiscale et de la croissance durable.
Alors posons les bonnes questions :
- Comment garantir une gestion plus responsable et transparente de notre dette ?
- Comment bâtir un modèle fiscal juste, où l’effort est réparti équitablement, plutôt que de toujours taxer les mêmes acteurs ?
- Sommes-nous prêts à acter le passage d’une fiscalité punitive à une fiscalité contributive, en transformant nos administrations fiscales en véritables Administrations des Contributions ?
Nous marchons dans une forêt dense, et nous avons déjà croisé trop souvent les mêmes arbres. Ce colloque ne doit pas être une simple réunion de plus. Il doit être le moment d’agir.
Monsieur le Ministre, le choix est entre vos mains. Agissons maintenant.
Avec tout le respect dû à votre fonction,
Charles Menye
Un citoyen engagé pour l’avenir économique de la CEMAC.
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