Cette suppression de l'expression culturelle a eu des effets dévastateurs sur la psyché individuelle et collective, contribuant à un sentiment de dévalorisation qui a même été transporté en dehors du pays. Après l’indépendance, une vague de migrants Camerounais, vers la France notamment, ont inconsciemment renié leur langue ne parlant que le français avec leur enfant, critiquant et dévalorisant leur pays d’origine. Une bonne façon de perdre son identité est de perdre la langue.
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Libérer le Cameroun de ses prisons mentales : comment passer du déni à l’acceptation dans la course vers la grandeur politique, économique et culturelle

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Par Antoinette Nyoung, coache, hypnothérapeute, Présidente & co-fondatrice de l’association BLOOM’L, autrice et conférencière

Non, les problèmes de santé mentale ce n’est pas qu’une affaire de blanc. En tant que praticienne en hypnose, j’entends très régulièrement de la part de Camerounais, « nous nous n’avons pas ces problèmes, tes histoires là c’est pour les blancs, d’ailleurs toi-même tu es blanche ». Je m’interroge sur qu’est-ce que veut dire être blanc ? Suis-je « une blanche » parce que je suis née et ai grandi en dehors du Cameroun ? Suis-je une blanche parce que bien que vivant à l’étranger, j’ai su débusquer les prisons mentales Camerounaises actives en moi et ainsi pu développer une conscience de « moi » de mes actions, de mon environnement ? Si être blanche c’est prendre en compte le fait que mon environnement, mon éducation, mes croyances, celles de mes parents, mes paroles sont des énergies invisibles d’une puissance telle que cela va influer sur mes pensées, mes émotions, mon comportement, mes actions, mes interactions avec les autres et que cet ensemble contribue à ma déchéance ou à ma croissance, que chacun de nous porte en lui le développement de son monde ; et bien, je veux bien être une Camerounaise de la diaspora qui veut participer au développement de son pays.

Le Cameroun, une nation d’une diversité culturelle et géographique remarquable, porte en elle une histoire coloniale complexe, ayant été sous domination allemande, puis partagé entre la France et le Royaume-Uni après la Première Guerre mondiale avant d’accéder à l’indépendance. Alors que les rêves d’une souveraineté nationale ont été concrétisés en 1960, les cicatrices profondes du passé colonial perdurent et influencent de manière significative le tissu social, émotionnel et économique du pays. Les traumatismes historiques, tels que l’oppression, l’exploitation économique, la perte culturelle et la violence physique, ont laissé une empreinte durable sur la conscience collective des Camerounais. Ces expériences ont engendré des problèmes psychologiques et émotionnels, tels que le stress post-traumatique, la dépression et l’anxiété, qui restent largement non reconnus et non traités. Cette négation collective a créé un cercle vicieux, alimentant le sous-développement émotionnel et empêchant le Cameroun d’atteindre son plein potentiel en tant que grande nation.

Il est temps d’accepter notre histoire et celle de notre pays pour briser le silence qui entoure les défis psychologiques hérités en partie du passé colonial ; car c’est seulement en reconnaissant ces blessures et en offrant des moyens de les guérir que le Cameroun pourra se révéler comme la grande nation qu’il est destiné à devenir.

Identité culturelle perdue

Lors de la colonisation, de nombreuses pratiques culturelles et langues autochtones ont été réprimées. Par exemple, l’imposition de la langue française et de la langue anglaise dans différentes régions du Cameroun a conduit à une perte d’identité culturelle pour de nombreuses communautés. Cette suppression de l’expression culturelle a eu des effets dévastateurs sur la psyché individuelle et collective, contribuant à un sentiment de dévalorisation qui a même été transporté en dehors du pays. Après l’indépendance, une vague de migrants Camerounais, vers la France notamment, ont inconsciemment renié leur langue ne parlant que le français avec leur enfant, critiquant et dévalorisant leur pays d’origine. Une bonne façon de perdre son identité est de perdre la langue. La colonisation n’a pas été sans violence. De nombreux Camerounais ont été soumis à la répression, à la violence physique et à l’humiliation pendant la période coloniale. Les traumatismes résultant de ces expériences ont persisté à travers les générations, contribuant au stress post-traumatique et à une méfiance envers les autorités.

Le Cameroun a été exploité économiquement par les puissances coloniales pendant des décennies. Les ressources naturelles du pays, telles que le caoutchouc, le cacao et le pétrole, ont été exploitées au profit des colonisateurs. Cette exploitation économique a laissé un héritage de pauvreté et d’inégalités, ce qui peut créer un profond sentiment d’injustice et de frustration parmi la population, alimentant ainsi le stress post-traumatique.

Ces exemples illustrent comment le passé colonial du Cameroun a laissé des traces profondes dans la psyché collective, contribuant au stress post-traumatique et à d’autres défis psychologiques. Il est essentiel de reconnaître ces défis.

Cohésion sociale brisée

La négation des défis psychologiques, en particulier ceux qui trouvent leurs racines dans le passé colonial du Cameroun, entraîne des répercussions profondes et insidieuses sur la société contemporaine. Cette attitude de déni a créé un environnement où les traumatismes historiques persistent et se transmettent inconsciemment d’une génération à l’autre, agissant comme des bombes à retardement émotionnelles qui peuvent éclater à tout moment ; et entrainant des crises personnelles et collectives entravant le développement de la nation.

Le refus de reconnaître les problèmes psychologiques et émotionnels a contribué à la fragmentation de la société camerounaise. La souffrance individuelle non exprimée peut se manifester de manière destructrice, affectant les relations familiales, la confiance entre les citoyens et la stabilité sociale ; ce qui a d’ailleurs un impact direct sur la productivité économique. L’anxiété, la dépression et le stress post-traumatique peuvent entraver la performance au travail, limitant ainsi la croissance économique du pays et renforçant le sentiment de dévalorisation chez de nombreux Camerounais. Ils peuvent se sentir impuissants face à leur propre histoire et à leurs expériences, ce qui entrave leur confiance en eux et leur capacité à s’épanouir.

La stigmatisation entourant la santé mentale peut rendre difficile l’expression des émotions et des opinions divergentes. Cela peut favoriser un climat de répression des voix dissidentes, ce qui a des implications profondes pour la démocratie et la liberté d’expression. En tout état de cause, la négation des défis psychologiques ne fait que perpétuer ces derniers, créant ainsi un cycle continu de souffrance et de sous-développement général. Pour permettre à la nation camerounaise de prospérer pleinement, il est essentiel de briser ce cycle.

Retrouver notre conscience collective

Au cœur de la transformation du Cameroun en une grande nation réside la nécessité impérieuse de la prise de conscience collective des défis psychologiques de notre société. La reconnaissance de leur existence peut être le premier pas crucial vers la guérison. Reconnaître les défis psychologiques liés à l’histoire collective valide les expériences individuelles de souffrance. Cela permet aux personnes de se sentir entendues et comprises, ce qui est un élément fondamental de la guérison.

La négation a souvent entraîné un silence oppressant autour des traumatismes. La prise de conscience brise ce silence en permettant aux gens de parler ouvertement de leurs expériences, de partager leur douleur et de trouver du soutien auprès d’autres individus et de la communauté en suscitant l’empathie. Lorsque les gens comprennent les défis psychologiques auxquels sont confrontées leurs communautés, ils sont plus enclins à offrir un soutien et à œuvrer pour un changement positif.

La reconnaissance des problèmes psychologiques incite également à réfléchir à l’importance de la santé mentale en général. Elle peut favoriser des initiatives de sensibilisation, d’éducation et de fourniture de services de santé mentale. Lorsque les individus et la société dans son ensemble reconnaissent les traumatismes et les problèmes psychologiques, ils sont mieux préparés à entreprendre des démarches de guérison, que ce soit par le biais de la thérapie, du soutien communautaire ou d’autres moyens. Cela ouvre également la voie à la création d’espaces de dialogue constructifs, où les émotions peuvent être libérées et où des solutions pour le développement émotionnel et social peuvent être élaborées.

Recréer des espaces de dialogue

En effet, la reconstruction de l’identité émotionnelle et la guérison des traumatismes exigent des efforts intentionnels et des initiatives spécifiques. Parmi ces initiatives, le coaching et la thérapie, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises, jouent un rôle essentiel.

Le coaching individuel et la thérapie offrent des espaces confidentiels où les individus peuvent explorer leurs émotions, leurs traumatismes et leurs préoccupations. Les professionnels du coaching et de la thérapie peuvent aider les clients à développer des compétences en gestion émotionnelle, à identifier des schémas de pensée négatifs et à trouver des stratégies pour surmonter les obstacles émotionnels. Les outils de la thérapie RAMAE peuvent s’avérer être très efficaces dans ce processus notamment sur un aspect souvent négligé : la thérapie familiale et communautaire. Les traumatismes inconscients ont affecté les dynamiques familiales et communautaires. La thérapie familiale et communautaire peut aider à aborder ces problèmes à un niveau plus large, favorisant la compréhension, la réconciliation et la communication au sein des groupes.

Les entreprises peuvent jouer un rôle dans la promotion de la santé mentale de leurs employés en mettant en place des programmes de bien-être qui incluent des séances de sensibilisation à la santé mentale, des sessions de gestion du stress et même l’accès à des services de coaching et de formation pour les employés qui en ont besoin. Cela peut inclure la formation des gestionnaires pour reconnaître les signes de détresse émotionnelle chez les employés et les encourager à chercher de l’aide.

Les dirigeants politiques, religieux et communautaires ont un rôle important à jouer dans la promotion de la reconnaissance des problèmes psychologiques et émotionnels. Leur soutien aux initiatives de dialogue et de guérison est essentiel pour organiser des ateliers éducatifs sur la santé mentale dans les écoles, les universités et les entreprises et ainsi aider à démystifier la stigmatisation entourant la santé mentale et à fournir aux gens les connaissances nécessaires pour prendre soin de leur bien-être émotionnel.

Créer des tiers lieux pour les enfants et les femmes

Encourager l’expression artistique et culturelle notamment auprès des plus jeunes peut être un moyen puissant de libérer des émotions refoulées. Des initiatives artistiques et culturelles qui reflètent l’histoire et les expériences du Cameroun peuvent favoriser la guérison et la compréhension, développer la créativité et l’implication dans les communautés.

Les femmes ont leurs lots de traumatismes et de défis. Encourager la création de réseaux de soutien, de tiers lieux où elles peuvent partager leurs histoires, leurs émotions et leurs préoccupations en toute confiance ainsi que leurs défis en matière de santé mentale peut renforcer la solidarité et favoriser la guérison. Il est également important de mettre en place des dispositifs de santé mentale abordables et accessibles à travers tout le pays en donnant accès à des professionnels qualifiés.

Organiser des campagnes de sensibilisation et des débats publics sur l’histoire coloniale du Cameroun peut encourager les conversations ouvertes sur les traumatismes passés et leurs répercussions actuelles. Cela peut aider à briser le silence et à promouvoir la compréhension. Il reste encore dans les villages quelques anciens qui ont beaucoup vu et beaucoup à raconter ; offrons-leur des temps de paroles et d’écoute pour qu’ils se libèrent et nous libèrent tous.

En unissant nos forces pour briser le silence et rétablir la santé émotionnelle de la nation, les Camerounais de tous horizons peuvent surmonter les traumatismes historiques et ouvrir la voie à un avenir plus brillant, empreint de compréhension, de guérison et de prospérité pour tous. Le Cameroun, riche de sa diversité culturelle et de son potentiel économique, se tient à la croisée des chemins de son histoire. Alors que le pays aspire à devenir une grande nation sur la scène internationale, ce voyage vers la grandeur exige un acte de courage collectif : la reconnaissance des défis psychologiques qui ont persisté dans l’ombre de l’histoire. Construisons ensemble un Cameroun fier, prospère et solidaire !

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