Jean de Dieu Momo : « Sur les traces de mon père : l’amour parental est le meilleur lubrifiant du cerveau de l’enfant »
Jean de Dieu Momo, ministre délégué à la Justice du Cameroun
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Jean de Dieu Momo : « Sur les traces de mon père : l’amour parental est le meilleur lubrifiant du cerveau de l’enfant »

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Dans la rubrique NOVELAS

Deux images fortes de mon père, parmi tant d’autres, me reviennent régulièrement en mémoire : Je le revois devant la porte du studio que je louais à Yaoundé au lieu-dit Biyemassi Lac, les bras levés vers le ciel et adressant au Seigneur une prière. Il était venu de Bafou pour voir où son rejeton, Avocat stagiaire à ce moment-là, habitait. Il avait passé la nuit avec moi dans mon petit studio. Comme il se levait toujours très tôt, il était sorti sans me réveiller, et il ne me vit pas venir derrière lui à pas feutrés. Je le surpris dans cette posture, les deux bras levés au ciel, en prière. Je compris que cette prière était pour moi. Il ne pouvait en être autrement. Mon père avait toujours le visage de l’amour quand il s’agissait de moi.

Une autre image qui m’avait bouleversée était la joie de mon père qui, m’apercevant brusquement devant lui après le pont sur la rivière du village Nko’o Tseng chez moi à Bassessa Djiomock, lâcha imprudemment des deux mains le guidon de sa moto pour les lever en direction du ciel avant de se raviser et de freiner pour garer sa moto sur le côté. Sautant de celle-ci, il se précipita dans ma direction, me prit vigoureusement dans ses bras en riant aux larmes, me serrant très fort contre lui. Il y a une image similaire dans le film «  les dieux sont tombés sur la tête », lorsque l’acteur Bushman retrouve ses enfants qu’il croyait perdus.

Dans mon cas, j’étais encore étudiant en droit à l’université unique de Yaoundé et il y avait eu une grève d’étudiants dispersée par les forces de l’ordre. J’avais réussi à fuir à travers champ pour ne pas être pris dans la rafle et m’étais retrouvé à la gare routière d’Etoudi où je pris le car pour ma belle ville natale, Dschang. La rumeur avait couru que de nombreux étudiants avaient été appréhendés et d’autres blessés ou même morts ! Quoique le Ministre de la communication ait proclamé qu’il y a eu « zéro mort », la rumeur persistait et mon père avait perdu le sommeil, hanté par la peur que son fils aîné fût parmi les victimes. Quelle ne fut pas sa surprise, sur ce pont, de me voir venir en face de lui, au pas alerte, en bonne santé, sain et sauf !

Avant d’aller à l’université, j’étais vraiment un enfant gâté, presque inconscient des enjeux futurs pour moi-même et pour mon pays. C’est après la classe de terminale que j’avais pris conscience de la valeur de mes études pour moi-même, pour ma famille et pour mon pays, lorsque mon père avait refusé de payer mes frais universitaires et de m’accompagner plus avant à l’université en me disant : « Terminale c’est terminé, tu pars encore où ? ». Pour lui quand on parle de la classe de terminale, cela signifie qu’on a terminé ses études et qu’il n’y a plus rien devant. Mais je savais qu’il faisait semblant puisque le fils de notre voisin était à l’université. Il faut reconnaitre qu’il avait raison de vouloir cesser de me prendre en charge car il avait une cinquantaine d’enfants dont il devait s’occuper et je m’illustrais par une attitude dilettante qui pouvait m’être préjudiciable. Il souhaitait que je travaille et fonde une famille. Comme certains de mes amis qui étaient devenus instituteurs et autres techniciens. Ils gagnaient bien leur vie, avaient acheté qui une radio cassette ou une moto, qui une voiture etc.

Mais moi j’avais dit à ma mère que je ne voulais pas travailler et gagner moins de cent mille francs de salaire mensuel! Car quelle serait la part dont je devrais entretenir ma famille et celle que je devrais donner à mes parents ? Argumentais-je. Ma mère m’avait traité de « futur sorcier »,  « hou fouh wet lekang », s’exclama-t-elle contre une telle ambition démesurée car la somme de cent mille francs CFA était énorme en ce temps-là, c’était le prix inaccessible de la dot d’une femme !

Donc voilà, je considérais avant que j’allais à l’école pour faire plaisir à mon père. Toute ma scolarité j’ai fréquenté pour mon père. Je ne me sentais pas directement concerné par mes propres études. C’était pour mon père que j’allais à l’école. C’était juste pour lui faire plaisir. Mon père aimait raconter fièrement, en riant, qu’il  n’avait jamais mis ses pieds à l’école un seul jour avant d’en repartir ! Mais il mettait un point d’honneur à ma réussite scolaire. Le monde avait changé, affirmait-il. Néanmoins, je me comportais comme si je fréquentais pour mon père puisque mes échecs scolaires impactaient directement sur lui. Mes réussites aussi. Il sautait plus haut de joie que moi. Et c’est pourquoi, quelques fois, je lui marchandais mes succès scolaires futurs et mes réussites aux examens. Mes bonnes notes me valaient des cadeaux de mon père.

Lorsque je m’étais présenté à un examen et que je pensais avoir bien travaillé, je courrais à la maison ou à l’atelier voir mon père pour commencer à négocier mon cadeau : « Papa, si je passe le probatoire, qu’est-ce que tu vas me donner ? ». Au début mon père se laissait vite fléchir mais ensuite il a remarqué que quand je viens spontanément lui proposer le marché de ma future réussite, cela signifiait que j’étais sûr de mon fait et que j’allais réussir à mon examen. Il souriait d’un air malicieux et sous-entendu et me promettait un bon cadeau : « Non pas ça, je veux plutôt telle chose ! » disais-je quand j’avais mon idée derrière la tête. « D’accord, passe d’abord ton examen et on verra ! » concluait-il prudemment en souriant.

Je mesure  tous les efforts que doivent fournir les parents pour maintenir leurs enfants sur le droit chemin de la réussite. Le chemin pour atteindre le sommet de la colline sociale et marcher sur le tapis rouge des pouvoirs économique, social ou politique est jonché de plusieurs obstacles qui sont autant d’enseignements pour les jeunes. Il faut donner aux enfants un amour puissant pour les accompagner sur les pentes périlleuses de leur vie. Aimez vos enfants en les conduisant sur la route du travail, du bien et du respect des ainés, et surtout contre les agitations sociales stériles, vous lubrifierez ainsi leur cerveau dans leur conquête des sommets. Tenez-les éloignés de toute violence et des manifestations insurrectionnelles préjudiciables à leur liberté ou à leur vie. Tel est votre devoir impérieux de parents.

Rappelez-vous la joie de mon père me voyant rentrer au village sain et sauf après les échauffourées à l’université et enseignez à vos enfants à se tenir le plus près possible des institutions républicaines. Songez aussi aux imprudents qui ont bravé les lois et sont privés de liberté et tenez la main ferme sur vos enfants !

Bonne journée à tous ceux qui savent écouter et comprendre.

 Fo’o Dzakeutonpoug 1er JDDM

 

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