A la tête de la République Centrafricaine depuis 2016, Faustin Archange Touadera, était l’invité de l’émission « La grande Interview » sur la chaîne de télévision panafricaine Panafrican Media,dimanche dernier. Dans cette interview retranscrite par la rédaction de La Plume de l’Aigle, le chef de l’État fait le point sur ses réalisations en huit ans de gouvernance (2016-2024).
Vous avez effectué beaucoup de déplacements ces derniers temps, une bonne fréquence d’ailleurs qui vous a conduit tour à tour au Sommet Chine-Afrique, vous étiez à la francophonie, à l’Assemblée générale des Nations Unies à New-York mais également en Ouganda, entre autres. Monsieur le président, quelles sont les retombées pour le peuple centrafricain ?
Je crois que ces déplacements, même ici à Bangui, beaucoup de nos compatriotes se posent la question. Ils disent que le président se déplace beaucoup. Même quelques acteurs politiques en parlent. Mais vous savez, les fonctions de chef de l’Etat contiennent aussi la représentativité. Le président doit représenter son pays dans le monde, pour porter la voix du pays et du peuple centrafricain. Vous avez mentionné la Chine, c’est un pays avec qui nous avons de très bonnes relations. La Chine, d’abord sur le plan diplomatique, nous a beaucoup soutenu au Conseil de sécurité pour la levée de l’embargo. Elle a aussi beaucoup investi dans des projets de développement et nous avons de très bonnes relations et je crois que c’est un moment historique dans les relations de la Chine avec l’Afrique. Beaucoup de chefs d’Etats africains étaient à cette rencontre et il est tout à fait normal que la République Centrafricaine, compte tenu du niveau de relation que nous avons avec la Chine, que nous soyons aussi présents. Et à chaque fois c’est l’occasion aussi de rencontrer les autres chefs d’États pour parler des autres questions. Vous savez que je suis le président en exercice de la Conférence des chefs d’États de la Cemac. Nous n’avons pas eu la possibilité de beaucoup nous voir et je crois que c’est des occasions pour pouvoir échanger aussi sur des questions d’actualités concernant nos pays et de partager.
Mais ce sommet en Chine a été productif pour les centrafricains puisque dans les échanges, nous avons pu discuter sur le plan bilatéral avec le président Xi Jinping et il y a eu beaucoup de promesses de coopération avec la République Centrafricaine qui ont été faites. Il y a eu des appuis budgétaires, des soutiens dans le domaine militaire, il y a aussi des projets de santé, de réhabilitation, des projets aussi au niveau du ministère des Affaires étrangères, des conventions que nous avons pu signer avec le gouvernement chinois.
Vous savez qu’en Ouganda, la LRA (L’Armée de résistance du Seigneur, ndlr) de Joseph Kony qui était une rébellion ougandaise, a beaucoup sévi en République Centrafricaine. Elle a causé beaucoup de deuils et fait beaucoup de victimes au niveau des populations centrafricaines. Mais grâce à la montée en puissance de nos forces de défense et de sécurité, beaucoup des éléments de la LRA ont finalement rendu les armes. Avec la collaboration du gouvernement ougandais, de la Minusca, ces combattants qui ont rendu les armes et arrêtés la rébellion, ont été rapatriés avec le soutien de leur pays d’origine pour la réconciliation. Je pense qu’il y a eu, des deux côtés, beaucoup de visites pour mener ces opérations. Les ministres de défense, les ministres du DDR, il y a eu beaucoup d’échanges entre nos deux pays. Il était temps que nous puissions au niveau des chefs d’États consacrer cela à travers un document, la signature d’un protocole d’accord qui englobe plusieurs thèmes notamment les plans militaire, commercial, diplomatique. C’était l’occasion d’avoir des échanges de vues entre les deux pays. J’ai été donc invité officiellement pour une visite d’État en Ouganda et nous avons été très bien reçus. Ça nous a donné l’occasion aussi de participer, de célébrer la fête de l’indépendance avec nos frères ougandais.
Aux jeux olympiques, j’étais l’invité du président du comité olympique et aussi le président du comité olympique centrafricain qui a tout fait pour que je puisse faire ce déplacement. C’était une occasion de participer à ce festival pour soutenir d’abord nos athlètes mais aussi l’occasion de rencontrer les responsables de haut niveau du sport international, le président de CIO, de la Fifa et ça nous a permis de renforcer notre coopération avec ces institutions et avec des retombées. Je pense que dans les prochains jours, il y aura une visite de la CAF ici pour voir comment soutenir la République Centrafricaine. Les appuis ce n’est pas exclu.
Excellence Monsieur le président, je voudrais qu’on parle à présent de la levée de l’embargo sur les armes. Vous l’avez obtenu au forceps, il faut le dire, ça n’a pas du tout été facile. Qu’est-ce que cela implique aujourd’hui pour le renforcement des capacités opérationnelles des forces armées centrafricaines ?
Mais vous vous en doutez bien. Nous sommes un pays indépendant qui veut retrouver l’ordre constitutionnel, qui a une armée nationale, qui est une institution. Et continuer à subir la pression de cet embargo, nous l’avons trouvé injuste et nous l’avons dénoncé. Nous n’avons raté aucune occasion pour dénoncer cette situation et beaucoup de pays africains, de chefs d’États ont soutenu cette position notamment, le président Lourenço de l’Angola qui a dû faire le déplacement au Conseil de sécurité, le président Sassou-Nguesso aussi qui a fait le déplacement pour dire que c’est injuste, ce n’est pas normal qu’un pays souverain, qu’un pays qui a retrouvé l’ordre constitutionnel, qui a eu des élections continue à subir cet embargo. Nous avons trouvé ces dispositions injustes et il fallait quand-même donner les moyens à nos forces de défense pour protéger la population.
Comment avez-vous une armée qui a les mains liées ? Comment cette armée pourrait avoir l’opportunité de remplir correctement sa mission de protection de la population, des biens et de sécurité ? Étant entendu que nous sommes un pays où aujourd’hui il y a encore des questions sécuritaires. On a besoin d’avoir les moyens et cet embargo était devenu injuste. Nous en profitons pour remercier les membres du Conseil de sécurité qui ont eu la sagesse de pouvoir lever définitivement cet embargo. Nous en sommes très heureux et le peuple centrafricain est très reconnaissant. C’est vrai que c’est un peu tardif, mais il fallait ça. Et aujourd’hui, nous pensons que nos forces de défense pourraient effectivement avoir les moyens si nous pouvons avoir les moyens de leur fournir les équipements qu’il faut ;
Alors qu’est-ce que cela implique désormais Monsieur le président, je veux dire quelle sera la prochaine étape maintenant que l’embargo a totalement été levé? Doit-on s’attendre à une entrée massive, une fourniture massive d’armement à vos forces de défense ?
Vous savez que la République Centrafricaine ne fabrique pas les armes et ce sont des choses qui coûtent chères donc, ce n’est pas comme vous le dites «une entrée massive». Non. Même le principe de dire qu’une armée est sous embargo, ce principe n’est pas juste. Bon le fait de chercher maintenant à équiper cette armée ça c’est un autre problème, ça c’est un problème de moyens. Et certains pays amis qui voudront bien, vont aider la République Centrafricaine à trouver les moyens pour défendre sa population. Même si on n’a pas beaucoup d’armes aujourd’hui, mais le principe, ça vaut la peine qu’on se batte pour ça.
Justement Monsieur le président, il y a la polémique sur le comportement de certains contingents onusiens et certaines forces bilatérales relativement au professionnalisme et à leur contribution au retour de la paix en République Centrafricaine. Un commentaire là-dessus ?
Vous savez qu’il y a des règles. Pour nous, s’il y a des allégations il faudrait que nous arrivions à démontrer et nous sommes dans la situation où nous devons protéger nos populations d’une certaine manière. Que ce soit les forces onusiennes ou même nos propres forces, nous avons l’obligation de protéger et on doit tout faire avec professionnalisme et respect des droits humains. Et donc si c’est avéré, nous devons engager la procédure qui est déjà engagée par les textes.
Excellence Monsieur le président, avec cette montée en puissance désormais des forces armées centrafricaines, est-ce qu’on peut s’imaginer une Centrafrique sans forces étrangères?
Ces forces n’ont pas vocation à s’éterniser dans le pays. C’est parce qu’il y a des besoins pour l’instant. Vous vous souvenez que nous sortons d’une crise depuis 2013 et il a fallu que les forces onusiennes viennent pour essayer de stabiliser, de protéger la population. Mais nous sommes en train de travailler pour une véritable montée en puissance de nos forces de défense et de sécurité, pour stabiliser, pour qu’elles aient les moyens de protéger la population. Et donc comme tout peuple, nous sommes vraiment jaloux de notre souveraineté et dans le contexte actuel, nous continuons à travailler avec un certain nombre de troupes des pays amis qui nous appuient pour la protection de nos populations en attendant vraiment de construire notre outil de défense.
Votre question est pertinente mais vous savez qu’en 2016 lorsque je suis arrivé, nous avions un effectif très réduit. Et pour un pays avec 623000 Km², on avait à peu près 5000 hommes qui étaient dépourvus de moyens, sans armes, qui n’avaient même pas un seul groupe de combat déployé sur le terrain. Mais c’était complètement les forces des Nations unies. Aujourd’hui, il y a un déploiement sur l’ensemble du territoire de nos forces à côté de leurs frères d’armes de la Minusca et des forces bilatérales russe et rwandaise. Donc, vous comprenez qu’à ce jour, il y a eu des avancées significatives ;
(Relance)A plus de 50000 ?
Non, nous n’avons pas encore atteint cela mais nous allons y arriver parce que former et recruter ça coûte beaucoup et nous n’avons pas encore les moyens pour pouvoir rémunérer, pour pouvoir les encadrer, leur fournir les moyens. Nous avons opté pour une armée de garnison. Donc, nous sommes en train de construire des garnisons à travers le pays suivant notre plan national de défense. Et à cause des défis sécuritaires qui existent, ce plan est en train d’être mis en œuvre. Donc bientôt, vous allez voir que nos forces de défenses vont être positionnées sur leurs zones.
Monsieur le président, on a parlé de sécurité, qu’en est-il des questions de développement qui touchent à l’amélioration des conditions de vie des Centrafricains ?
Oui la sécurité est une priorité compte tenu du contexte, de la fragilité avec les questions de groupes armés. Mais, il n’y a pas que les questions militaires. Nous avons déployé des stratégies de réconciliation avec l’APPR (Accord politique pour la paix et la réconciliation, ndlr) et aussi la feuille de route de Luanda (capitale de l’Angola, ndlr) où on cherche la réconciliation. Mais si on travaille sur ce côté sécuritaire avec la réconciliation, il n’y aura pas que la montée en puissance de nos forces et le travail en synergie avec les forces onusiennes et du côté bilatéral. Il y a aussi le côté comme vous l’avez dit, le développement parce que ça va de pair. Vous savez avec la crise, beaucoup d’infrastructures notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation ont été détruites par les groupes armés. Et là vraiment il y a eu un recul. Il y a eu des écoles qui ont été détruites, des centres de santé brûlés par les groupes rebelles, donc il faut reconstruire le pays, repartir à zéro, mettre en place un dispositif d’abord politique, faire un choix et là on doit aller vers les priorités.
Par exemple, dans le domaine de la santé, nous avons mis en place dix domaines d’impulsion présidentiels pour nous attaquer aux urgences. On ne va pas tout résoudre donc on a choisi dix domaines dans lesquels on doit travailler pour couvrir pratiquement le système de santé et l’améliorer. Dans le domaine de l’éducation, il faudrait aussi envoyer les enfants à l’école. Leur place, c’est à l’école et c’est ça qui va réduire le fait que beaucoup de nos jeunes écoutent les gens qui appartiennent à ces groupes armés. Combattre cela c’est les éduquer. Et pour cela, il nous faut remettre les infrastructures en place et non seulement les infrastructures, mais il faut aussi les enseignants. Depuis 5 ans et jusqu’à nos jours, nous avons recruté beaucoup d’enseignants. Presque 6000 enseignants contractuels. Aujourd’hui, on a remplacé les maîtres Pam. Et non seulement ça, il faut des contenus, il faut des livres. Donc aujourd’hui, nous sommes en train d’y penser parce que notre objectif c’est un élève, un livre.
N’oublions pas que notre deuxième priorité après la sécurité c’est le capital humain. Donc, nous travaillons vraiment pour le développement du peuple centrafricain, son bien-être à travers l’éducation, la santé et aussi, il faut qu’il se nourrisse. Il y a aussi le côté de l’agriculture. Nous avons un grand projet pour ce domaine-là car, l’agriculture de rente a beaucoup perdu à cause des crises. Il y avait beaucoup de coton, de café, mais tout ça a pris un peu de recul. Actuellement, nous nous attardons sur les cultures vivrières pour nourrir le peuple et ensuite nous allons relancer avec les cultures de rente. Mais quand vous travaillez sur l’agriculture, il faut travailler aussi sur les pistes rurales parce qu’il faudrait que ces productions-là soient acheminées sur les marchés. Donc c’est tout ça que nous devons faire en même temps. Mais avec des moyens limités, il faut prioriser ces moyens et je vois que le peuple centrafricain a progressivement retrouvé la paix. Ce n’est pas encore ça mais, je pense que c’est une stratégie en fonction de nos moyens.
Les panafricanistes m’en voudront, Monsieur le président si je ne vous posais pas cette question avant de sortir de cet entretien. On se demande quel est l’état de vos relations avec les pays de l’AES, l’Alliance des États du Sahel (Burkina, Mali, Niger) ?
Ce sont des pays africains qui ont fait un choix et que nous comprenons et avec qui nous avons de bonnes relations. On discute, on échange bien entendu sur les approches et je crois qu’il y a beaucoup d’échanges et de discussions entre nous et ce sont des pays africains, des pays frères.
Il se dit aussi qu’ils se sont inspirés de vous sur les questions sécuritaires en nouant des relations très fortes avec la Russie et aujourd’hui on a l’impression que tout ceci est à la mode et l’AES s’en tire tant bien que mal…
Ce sont des pays frères et à un moment donné, ils ont fait un choix. Nous sommes en train de discuter. Avec les dirigeants, on a de très bons rapports pour discuter, pour comprendre également ce qui se passe et nous échangeons.
Monsieur le président, nous sommes arrivés au terme de cet entretien. Peut-être un dernier mot à l’endroit de tous ceux qui nous suivent? Ils sont très nombreux, nous sommes suivis sur tout le continent africain, dans une grande partie de l’Asie, une grande partie de l’Europe et de l’Europe centrale et dans le monde entier à travers nos plateformes numériques.
Nous saluons tous les téléspectateurs et tous ceux qui nous écoutent depuis Bangui. Le peuple centrafricain les salue et remercie tout leur soutien, surtout les panafricanistes pour tout le soutien qu’ils apportent aux combats que nous menons pour la souveraineté du peuple centrafricain.
Propos retranscris par Fadira Etonde
Cet entretien a été réalisé par Mohamed Bachir Ladan, PDG de la chaîne de télévision panafricaine Panafrican Media.
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