Au marché Nkoulouloun, situé dans le 2ème arrondissement de la capitale économique, la lingerie féminine usagée fait courir. Et pourtant, les risques auxquels sont exposées ses utilisatrices sont énormes. Les explications d’une spécialiste.
En cette matinée du jeudi 14 juillet 2022, une pluie s’abat sur la capitale économique camerounaise. Mais pas assez pour décourager les grossistes du marché Nkoulouloun situé dans le 2ème arrondissement de Douala, déjà assis sous les parasols. Ils ont installé les ballots de vêtements sur les comptoirs. Les lieux sont envahis par une foule de clients qui recherchent des vêtements à leur goût, taillés sur mesure. Parmi ces habits qui s’arrachent comme des petits pains, les femmes jettent leur dévolu sur les lingeries usagées. Il y en a une variété et pour tous les goûts: soutiens gorges, slips, gaines, bustiers, strings, boxers, robes de nuit…
Ces sous-vêtements dits de «1er ou 2ème choix» sont exposés sur des étals servant de comptoirs provisoires. Certains sont sur des plastiques à même le sol en bordure de route et d’autres accrochés aux cintres sous les parasols.
Origines
Avant d’être mis dans des conteneurs et acheminés en Afrique, «ces sous-vêtements usagés sont conditionnés dans des balles étanches, puis expédiés par voie maritime», font savoir certains grossistes du marché Nkoulouloun. Ces derniers renseignent qu’une fois « débarqués au port autonome de Douala et après avoir traversés plusieurs intempéries, ces articles sont mis sur les marchés camerounais ». Difficile de savoir si ces étapes respectent les règles d’hygiène.
Vendeuse de sous-vêtements de seconde main depuis 7 ans au marché Nkoulouloun, Martine se ravitaille chez les grossistes du marché Mboppi. Elle reçoit tous types de clientes. «Ces sous-vêtements viennent des pays comme la Belgique, l’Allemagne et l’Italie. Il y a des fournisseurs avec qui nous travaillons au marché Mboppi. Quand on décharge les conteneurs au port, ils nous informent qu’il y a la marchandise. Et si je suis prête financièrement, je vais aussitôt choisir mes ballots. Le ballot de slips coûte 230 000 FCFA et celui des soutiens gorges 195 000 FCFA », nous confie cette revendeuse. «Ces ballots sont hermétiquement fermés. On n’a pas la possibilité de juger la qualité de la lingerie féminine avant l’achat. C’est comme la tombola. Si le ballot est bien, je peux avoir 50 000 ou 100 000 FCFA de bénéfice. Tout dépend du rythme du marché», poursuit Martine.
Egalement vendeuse de dessous pour femme, Antoinette utilise ses relations pour recevoir les ballots directement d’Europe. «Je suis dans la friperie depuis 22 ans et avec cette activité, je m’occupe très bien de ma famille. J’ai d’ailleurs des amis à Londres qui m’envoient les marchandises au port. Ce sont des fins de série qui peuvent parfois me revenir à 1 500 000 FCFA», affirme la sexagénaire.
Coûts
Les prix de ces sous-vêtements usagés oscillent entre 250 FCFA et 1000 FCFA. Ces coûts sont discutables. «Je laisse les slips dentelés à partir de 400 FCFA, les strings à 350 FCFA, prix de gros pour que les détaillantes aillent revendre à 500 ou 600 FCFA la pièce. Les soutiens- gorges c’est autre chose, elles peuvent prendre une pièce à partir de 600 ou 1000 FCFA selon le 1er, 2ème choix et la taille», souligne Martine. Autour d’elle, des femmes, communément appelées «trieuses», sélectionnent minutieusement les bons articles. «Je suis là très tôt pour le triage. Je trouve mon compte ici. Il y a des fins de série et du bon coton. Lorsque je trie, je fais un mélange de caleçons et soutiens gorges 1er et 2ème choix. Après le triage, je vais m’installer sur mon comptoir pour revendre un soutien- gorge par exemple à partir de 1200, 1500, voire 1800 FCFA la pièce aux consommatrices», se gargarise Nadège, trieuse depuis 5 ans.
La ruée des clientes vers les sous-vêtements vendus en friperie est motivée par le coût élevé de la vie. Certaines ont du mal à s’offrir des slips neufs dans des grands magasins luxueux. «Ici je trouve des caleçons de qualité à 200 FCFA. Or dans les magasins on vend la pièce à 1000 FCFA. Tout le monde n’a pas les moyens d’aller dans ces magasins», se console Josiane.
Si certaines femmes préfèrent le vrac en fonction de leurs bourses, d’autres sont attirées par la qualité. C’est le cas de Falone : «J’ai une préférence pour la friperie parce que ça vient d’Europe et c’est eux qui ont le meilleur textile sur le marché contrairement aux Chinois. Aussi parce que ces sous-vêtements de seconde main faits en coton, résistent mieux lorsqu’ils sont bien entretenus».
Dangers
A la question de savoir si le port de sous-vêtements usagés peut engendrer des risques sanitaires? Dr Ginette Tuayon, médecin du travail et de gériatrie précise qu’ils ont effectivement des conséquences sur la santé des femmes qui y sont ‘’accros’’. «On a aucune garantie sur l’hygiène des personnes qui les ont portées et on est presque sûr que cela n’a pas été désinfectés. Il faut bien savoir que malgré le lavage, on retrouve encore des bactéries sur le linge, en particulier les sous-vêtements qui sont au contact direct des sécrétions. Maintenant en considérant la façon dont ces vêtements sont exposés et manipulés après leur déballage, on comprend bien qu’ils restent des foyers de microbes qui peuvent entrainer chez la femme diverses infections génitales», explique l’experte, non sans faire une recommandation : «Il faut les rendre propres avec de l’eau chaude. Ensuite les sécher au soleil, et enfin les repasser avant de porter.»
Ruffine Moguem
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