Les communautés riveraines des plantations des agro-industries étaient face à la presse vendredi 4 novembre 2022 à Douala. Dans la présente tribune, Honoré Ndoumbé Nkotto, ingénieur agronome et environnementaliste, revient sur les multiples violations de leurs droits par l’agro-industrie Socapalm.
La présente conférence de presse a pour but de soumettre à l’appréciation du plus grand nombre, la question de l’activité de l’agro-industrie SOCAPALM au Cameroun, qui y détient sept plantations, couvrant environ 60 000 ha au total. Les faits décrits sont basés sur les activités de suivi du déroulement des opérations dans les sept plantations de l’agro- industrie.
De la SOCAPALM
La Société Camerounaise des Palmeraies, SOCAPALM est une entreprise créée par l’Etat du Cameroun en 1968 ; elle a fait suite à la société coloniale SOCFINOL qui recueillait les palmiers naturels dans la zone de Dibombari, département du Moungo. SOCAPALM a été privatisée en 2000, suite à un bail emphytéotique sur une superficie de 78 529 ha pour une durée de 60 ans. En 2005, un avenant audit bail a été effectué ramenant la contenance superficielle des terres rurales de SOCAPALM à 58 063 ha. Pour le village de Mbonjo dans le Moungo par exemple, les terrains maintenus dans le bail passaient de 1190 ha à 1025 ha, ce qui correspond à une libération de 165 ha de terres. La SOCAPALM privatisée, de la Socfin-Bolloré, comporte aujourd’hui 7 plantations comme suit : Dibombari, Mbongo, Mbambou, Dizangue, Edéa, Kribi et Eséka.
Points de Préoccupations dans l’activité de la SOCAPALM
De manière générale, depuis le rachat de Socapalm par l’entreprise Socfin en 2000, les conflits avec les communautés locales sont nombreux et n’ont cessé de s’amplifier avec l’accaparement des terres. Les populations locales sont privées de terres arables et forêts qu’elles utilisaient, de leurs moyens de subsistance, et ne constatent aucune réalisation concrète satisfaisante, ni aucun projet de développement promis en guise de compensations pour la réquisition de leurs biens. Les conditions de vie des populations locales se sont dégradées. La mobilité des riverains est entravée par des milices qui surveillent la plantation et violentent les populations. L’espace vital autour des villages n’est pas respecté, les cours d’eau sont pollués par les pesticides, l’embauche des populations locales est loin d’être à la hauteur des promesses et les conditions de travail sont remises en question.
De manière plus précise, il sera examiné ci-dessous trois points de préoccupation par rapport à l’activité de cette agro- industrie sur le terrain : la question de rétrocession, celle des sites sacrés enfouis sous les palmiers, et enfin la certification RSPO accordée à plusieurs plantations SOCAPALM malgré la reconnaissance par l’organisme vérificateur, de plusieurs malfaçons sur le terrain et leur non -rectifications, ou une remédiation très à minima !
- De la rétrocession de terres du bail SOCAPALM de départ aux communautés riveraines
La rétrocession des terres, d’environ 20 000 ha suivant l’avenant de 2005 au bail emphytéotique de 2000, apparaît être en réalité sur le terrain un véritable serpent de mer, un puits sans fond ! Prenons un exemple : le village Mbonjo ; les terrains maintenus dans le bail après l’avenant passaient de 1190 ha à 1025 ha, ce qui correspond à une réduction et libération de 165 ha, terrains en principe rétrocédés à l’Etat qui en est le véritable propriétaire, principal garant des terres et qui y exerce son autorité, et peut en principe les rétrocéder aux communautés.
Or depuis ladite rétrocession en 2005, donc depuis plus de 15 ans, les communautés riveraines des plantations SOCAPALM sont « plombées » par divers procédés, dans tous leurs efforts d’obtenir de l’Etat les parcelles en principe libérées par l’agro-industrie. Mais qui sur le terrain continuent à être exploitées. Quant à l’Etat, il parle d’opérations préalables de bornage à réaliser auprès de la SOCAPALM, avant tout examen des demandes des communautés, opérations qui semble t-ils, doivent être financées par la SOCAPALM, qui bien entendu ne se montre pas des plus pressées pour s’exécuter !
Les communautés de MBONJO ont pourtant déjà effectué depuis longtemps, des demandes de rétrocession basées sur des cartes des zones libérées qu’elles ont fait établir sur fonds propres par des géomètres assermentés et mises entre les bras de l’administration pour faire bouger les lignes, mais tout se passe comme si l’évocation du seul nom SOCAPALM dans toute la chaine de décision d’immatriculation des terres, entraine, non peut – être pas la peur panique, mais à tout le moins depuis plus de quinze ans comme de l’attentisme ou des déclarations de forfait enjolivées de différentes manières, couvertes de différents oripeaux !
Qu’est ce qui bloque depuis 17 ans, alors qu’à Mbonjo par exemple, les travailleurs de trois agro-industries entourant ce village (SOCAPALM DIBOMBARI, BOH PLANTATIONS MISSAKA/MBONJO, CDC PENDAMBOKO) inondent désormais le milieu de leurs employés, les conflits de tous genres se multipliant entre les différentes communautés, compliquant le vivre ensemble?
Faut –il voir en la récente descente d’une commission du MINDCAF dans les zones de plantations SOCAPALM et de rencontres de communautés riveraines comme le bout du tunnel, ou plutôt une invite à un nouveau concours de patience pour l’achèvement du processus encore une fois entamé « d’examen des problèmes de terres » ? L’avenir nous le dira, mais il est déjà à noter que la discussion des envoyés du MINDCAF avec les communautés réduites à un tout petit nombre de représentants par village (le chef assisté de deux notables, et aucune autre force vive du village) a planché, non pas sur l’existant, à savoir déjà les terres déjà sorties du bail SOCAPALM par l’avenant, et à rétrocéder aux communautés riveraines. Mais la commission descendue sur le terrain a plutôt semblé remettre les compteurs à zéro en demandant « généreusement » aux représentants des communautés de quelles superficies ils avaient besoin. Ils ont bien entendu eu des réponses hardies et encore une fois fait naître des espoirs qui nous l’espérons ne seront pas une fois de plus déçus !
- La question des sites sacrés enfouis sous les palmiers
« Profaner, c’est insulter toutes les religions et souiller la République », déclarait François Hollande le mardi 17 février depuis Sarre-Union (Bas-Rhin), après que des tombes d’un cimetière juif aient été dégradées. Profaner une tombe revient, pour celui qui le subit, à voir souillé ce qu’il a de plus sacré, ce qu’il est, ce à quoi il appartient, ce dans quoi il s’enracine. Sur un plan personnel, c’est évidemment très difficile à vivre. Une profanation est une agression pure qui peut s’apparenter à un viol de l’identité.
Les communautés de MBONJO et SOUZA par exemple, ont fait part à la SOCAPALM , encore une fois en fin 2020, de leurs profonds sentiments de désespoir face à la production industrielle de l’agro-industrie du palmier et autres hévéas qui, au-delà de la destruction de moyens de subsistance locaux, profane également les sites sacrés et le patrimoine culturel des populations locales, étouffant les pratiques ancestrales d’adoration, libertés et droits fondamentaux, s’il en est.
Les dirigeants de la plantation SOCAPALM de Dibombari sont descendus sur les lieux à l’entame de l’année 2021, en compagnie de diverses forces vives locales y compris les chefs traditionnels, se rendre compte par elles – mêmes de la réalité de cette déplorable situation, et des promesses d’actions rectificatrices ont été faites. C’est cependant le statu quo qui a été ensuite observé pendant près d’un an et demi ! La situation de ces sites sacrés enfouis sous les palmiers a été présentée aux vérificateurs envoyés par la RSPO. Le résultat observé finalement sur le terrain en Octobre 2022 est : d’abord une mise à l’écart par SOCAPALM de la SYNAPARCAM (Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun ) pourtant initiatrice du processus de revendication desdits sites,; ensuite une délimitation unilatérale par SOCAPALM, en une approche minimaliste (1 ha), d’espaces, de sites ou monuments par elle seule choisis sur le terrain, parmi les sites identifiés et présentés à l’agro-industrie, et par ce faire piétinant et contrevenant allègrement au principe fondamental de Consentement Libre, Informé et Préalable des communautés locales. ; et enfin une « motivation financière » octroyée par SOCAPALM, aux seules autorités traditionnelles de MBONJO, à l’exclusion de celles de SOUZA qui ont pourtant pris part au processus de revendication (diviser pour mieux régner !), motivation donnée en principe comme « contribution de la SOCAPALM pour arroser la libération desdits sites sacrés » !
La RSPO
La Table ronde sur l’Huile de Palme Durable (RSPO – Round Table for Sustainable Palm Oil) a été créée en 2004, dans le but de promouvoir la croissance et l’utilisation de produits de palme durables grâce à des référentiels mondiaux tangibles et à l’engagement des parties prenantes.
Dans le cadre des problèmes décriés pour SOCAPALM, les consultants de la norme de certification RSPO sont descendus sur les lieux pour se rendre compte de la situation. Ils ont produit en Juin 2022, une lettre du résultat de leurs investigations, lettre très largement contestée dans son contenu, par diverses ONGs, associations, etc. En collaboration avec six organisations partenaires internationales, les Amis de la Terre Pays-Bas ont analysé ladite lettre de vérification de la RSPO, qui a chargé Assurance Services International (ASI) d’une mission de vérification pour enquêter sur les allégations contenues dans deux articles de presse de WRM (World Rainforest Movement) en juillet 2020 et de Deutsche Welle en janvier 2021 sur les pratiques de Socapalm sur ses plantations au Cameroun. Leurs observations sont en gros les suivantes : L’évaluation de vérification contient des lacunes dans les politiques et pratiques de CLIP (Consentement Libre Informé et Préalable), lacunes du mécanisme de plainte, harcèlement sexuel, pollution et autres violences. Il est clair que la Socapalm ne respecte pas les normes de la RSPO. Certaines des conclusions de la RSPO contredisent les témoignages des communautés et de la société civile : par exemple, elle conclut que la propriété foncière est suffisamment démontrée, alors que plusieurs communautés affirment par contre que leurs droits coutumiers sont violés.Et divers exemples ont été fournis par Synaparcam.
De nombreux conflits fonciers sont en cours, aggravés par l’incapacité du gouvernement de rétrocéder 20 000 hectares de terres aux communautés et par l’incapacité de la société à faire preuve de transparence en délimitant clairement la plantation sur le papier et sur le terrain ; le projet MINDCAF (Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires Foncières) de cartographie foncière participative constate que la Socapalm a empiété sur les terres du village. Cela confirme les revendications antérieures des villageois, qui n’ont jamais été acceptés par la Socapalm qui affirme « détenir pour ces terres des titres fonciers que nul n’a jamais vu » ! En février 2021, deux communautés de la région d’Edea ont écrit en ce sens au Président de la CONAC (Commission Nationale Anti-Corruption), contestant ces conclusions. Pourquoi la RSPO n’a-t-elle pas inclus ce point dans la lettre de vérification ? Les superficies dont disposent les communautés seront de loin insuffisante pour assurer les moyens de subsistance des communautés aujourd’hui et à l’avenir ; surtout dans un contexte de croissance démographique dû à l’afflux de travailleurs immigrés. Les cas abondent où les palmiers sont plantés jusqu’au niveau des maisons des membres des communautés ; les femmes subissent et font régulièrement état d’un climat de peur dans les zones de plantation. En effet, avec la présence de G4S, d’Africa Security, de l’armée et des équipes de sécurité des villages dans les zones de plantation. Les relations de pouvoir sont inégales et les femmes vivent dans une peur constante. La prostitution a par ailleurs augmenté en raison du développement des plantations, les femmes devant parfois y recourir pour avoir la possibilité d’accéder aux plantations gardées, afin de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille. La lettre d’évaluation de vérification indique que la Socapalm fournit de l’eau potable aux communautés, dont l’eau est polluée ou non disponible à cause de l’activité de la plantation. En réalité, si de l’eau a pu être opportunément fournie à temps pour le contrôle des auditeurs, diverses communautés affirment que cette eau potable n’est pas disponible en permanence. Plusieurs organisations de la société civile ont fourni des informations et des preuves pour étayer les allégations, des membres de la communauté ont parlé avec les évaluateurs de l’ASI. Pourtant ces informations ne sont pas incluses dans la lettre de la RSPO. Il n’y a pas eu de véritable compte – rendu de la mission ; la lettre est par ailleurs en anglais. La RSPO n’a pas prévu de traduction française alors que la plupart des communautés concernées s’expriment en français et ne comprennent donc pas la lettre en anglais ; les communautés et les organisations de la société civile ne comprennent pas pourquoi la RSPO a choisi de n’étudier que les allégations contenues dans les deux rapports médiatiques sur le Cameroun, omettant les autres sources ; plus important encore, il n’est pas clair si les rapports trimestriels de la Socapalm sur les recommandations seront rendus publics ou si les communautés affectées et la société civile seront consultées dans le cadre des rapports. Nous avons reçu des informations selon lesquelles un membre de la communauté de la région de Mbambou a été intimidé lorsque le personnel de la Socapalm lui a rendu visite en raison de ses témoignages lors de la mission d’évaluation de vérification de la RSPO. Ils auraient dit qu’il serait arrêté pour avoir dit des mensonges.
La RSPO a reconnu des infractions commises par SOCAPALM dans le cadre de ses activités, mais lui a tout de même délivré des certifications pour nombre de ses plantations !
Quelques recommandations
Compte tenu de ce qui précède, nous demandons que : 1). sur la base des résultats de la mission de vérification, que les certifications de Socfin soient annulées au Cameroun, mais aussi en Sierra Leone, au Nigeria et en Côte d’Ivoire, car la Socfin viole les exigences minimales (voir 5.5 Exigences minimales pour les unités de gestion multiples dans RSPO-PRO-T01-002 V3 ENG) ; 2) les rapports d’avancement trimestriels de la Socfin pour la ‘RSPO ComplianceSub Division, soient rendus publics et les rapports soient transmis aux communautés affectées et à la société civile pour vérification ;
3) Les autres allégations ci-avant visées, y compris l’ensemble des preuves envoyées aux organismes de certification par la société civile, soient vérifiées de manière indépendante ; 4) les rapports sur le harcèlement sexuel et autres violences attestent d’un climat de peur. La nature systémique du problème implique qu’il doit être éradiqué à la racine, et donc qu’il est nécessaire d’aborder la sécurité et la présence militaire, plutôt que de suivre uniquement la recommandation de la RSPO de sensibiliser le personnel et les communautés.
Nous appelons la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO) à annuler les certifications de Socfin, la plus grande entreprise de plantation d’Afrique. Nous demandons également d’améliorer la transparence de son processus, de reconnaître le climat de peur et d’enquêter également sur d’autres allégations.
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