Indigné, le Prince Kum’a Ndumbe III, de sa plume légendaire, ressuscite les archives de l’époque coloniale. Cette époque où ses ancêtres se battaient contre les Allemands. Dans cette nouvelle sortie parvenue à notre rédaction ce mercredi 18 mai 2022, le président de la Fondation AfricAvenir International écrit : «l’expropriation forcée et les casses à Dikolo-Bali au Canton Bell pour les besoins de la construction de l’Hôtel Marriott à Douala réveillent la mémoire des démêlés qui aboutirent à la pendaison de Duala Manga Bell et à la défaite précoce de l’Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale en 1916».
Sa sortie est accompagnée de 4 documents historiques que nous publierons intégralement jusqu’à samedi (un document par jour). A l’heure de l’urgence de l’union des peuples africains, Kum’a Ndumbe III pense que « la tribalisation de l’Etat postcolonial, la transplantation du village dans l’appareil de contrôle de l’Etat et la structuration des oppositions de « tribus » contre « tribus » constituent une menace explosive de la paix et remettent l’Afrique comme proie aux intérêts cupides de certains nationaux et étrangers, au nom du « développement » et de la ‘’modernisation’’ ».
Pour lui, il est urgent de décoloniser les textes juridiques qui régissent les pays africains, plus de soixante ans après les indépendances. « Les élites et intellectuels africains dont la mémoire scientifique et culturelle a été effacée doivent retourner à l’école léguée par l’Afrique millénaire. Ils ont l’obligation de chercher la clé qui mène à cette école et à son héritage juridique, économique, financier, politique, culturel, spirituel et à ses inventions scientifiques ». L’historien poursuit : « L’émergence et la renaissance de l’Afrique passent par ces nouveaux chemins de la science. Les casses de Dikolo dépassent de loin la ville de Douala, les Douala, Sawa et le Cameroun. Quelles leçons en tirer en mai 2022 pour nos gouvernements, nos peuples camerounais, africains et pour les investisseurs ? A chacun de lire attentivement ces 4 documents historiques et de prendre ses responsabilités, pour que personne ne dise pas un jour qu’il ne savait pas, y compris les promoteurs de l’Hôtel Marriott et leurs acolytes camerounais».
Simon Keng
Document I
L’Apartheid avant son nom : comment les Allemands programmèrent l’Apartheid au Cameroun déjà en 1910 Par Prince Kum’a Ndumbe III, Professeur Emérite des universités Copyright : © Kum’a Ndumbe III et Editions AfricAvenir
Nous avons publié plusieurs documents vieux de 130 ans pour comprendre comment les Camerounais, par leurs oppositions internes, la soif éhontée de leadership, le désir d’un enrichissement individuel et rapide au détriment de la communauté nationale, comment en s’alliant l’étranger pour combattre son propre frère, tout en ignorant la soif de domination de l’étranger, comment par le manque de vision politique tous ces Camerounais furent maîtrisés par le colonisateur allemand qui ne poursuivait qu’un seul but : dominer le Cameroun pour mieux l’exploiter à son seul profit, et tant pis pour ceux qui localement ont collaboré avec lui pour permettre la victoire finale du colon. N’oublions pas que même pour la police et l’armée, ce sont des Africains et Camerounais qui portèrent les armes du colon, les bagages du colon, pour soumettre l’ensemble des royaumes et chefferies de leur propre territoire, en contrepartie d’une petite bouchée de pain. Les Allemands ont conquis le Cameroun grâce à leurs armes portées par des Camerounais contre d’autres Camerounais. Les Africains ont combattu d’autres Africains, les Camerounais ont combattu d’autres Camerounais, tous portant les armes d’un colon, pour soumettre tout leur pays sous les ordres du colon, cela continua pendant la Première Guerre mondiale, pendant la Deuxième Guerre mondiale, pendant la guerre des indépendances, et aujourd’hui pendant la course armée des pays industrialisés pour la mainmise sur les richesses du sol et sous-sol africains. Des deux côtés les Africains qui s’entretuent, armés par l’étranger, en contrepartie d’une bouchée de pain, consolidant ainsi le pouvoir de l’étranger sur le sol africain. Les Allemands ont perdu la Première Guerre mondiale et ne pouvaient plus instaurer l’apartheid au Cameroun comme prévu. Mais quand Hitler va prendre le pouvoir, un plan pour la reconquête et la restructuration coloniale d’une Afrique fasciste va être mis sur pied, et en 1943, la « Loi coloniale sur la protection du sang allemand et de l’honneur allemand » sera prête et n’attendait plus que sa proclamation après une victoire finale d’Hitler (texte intégral de cette loi dans : Kum’a Ndumbe III, Hitler Voulait l’Afrique, Paris, 1980, p. 365).
Les Allemands n’avaient aucune intention de respecter les Traités des 11 et 12 juillet 1884, et pour les rois camerounais qui avaient cru que des garanties leur auraient été données, le consul allemand Max Buchner écrit dès le départ dans son livre « Kamerun – Skizzen und Betrachtungen » (1887) ceci: « c’est leur problème ». Une fois que les Allemands ont pris le pouvoir à la côte, ils ont fait comme s’ils n’avaient jamais signé un traité. La monnaie camerounaise de la côte, le Kru, avec une valeur de 1 Kru camerounais = 20 Marks du Reich allemand en 1884 fut dévaluée deux fois avant d’être définitivement supprimée le 6 avril 1894 et remplacée par une monnaie européenne sur l’ensemble du territoire camerounais, par le Mark allemand. Le monopole commercial des Camerounais fut brisé rapidement, et les Allemands installèrent leurs comptoirs commerciaux sur l’ensemble du territoire, au mépris du Traité du 12 juillet 1884. Les Duala furent tout simplement interdits de commerce par arrêté du 19 juin 1895, les terres camerounaises furent décrétées terres de la couronne allemande par la loi (Kronlandgesetz) du 15 juin 1896, le droit d’expropriation fut reconnu exclusivement au gouvernement 3 allemand par le décret impérial (Kaiserliche Verordnung über Enteignung von Grundeigentum in den Schutzgebieten Afrikas und der Südsee) du 14 février 1903. (texte intégral de ces documents in: Kum’a Ndumbe III, Das Deutsche Kaiserreich in Kamerun, 1840-1910, Douala/Berlin, 2008, p. 168 et 176).
Pendant que les Camerounais de la côte pensaient qu’ils avaient signé un traité avec l’Allemagne, le gouvernement de Berlin pouvait avec ces lois, décrets et arrêtés procéder à la séparation des Noirs et des Blancs sur le sol camerounais, en commençant par la ville de Douala. La famille Bell devait quitter Bonanjo, la laisser aux Blancs, pour une « Europäerstadt », ville européenne, et aller dans les marécages pour un nouveau campement, la « NEU-Siedlung BELL » ou NEU-BELL ou aujourd’hui NEW-BELL. Les deux camps devaient être séparés par un couloir de 1 km pour que les Noirs ne contaminent pas les Blancs de leurs maladies et ne les dérangent pas avec leurs odeurs nègres et leurs bruits sauvages. Pour préparer le décret d’expropriation, on fit appel à l’expertise de grands universitaires allemands pour justifier la nécessité de la séparation des Noirs et des Blancs. Le professeur de médecine Ziemann, comme tant d’universitaires occidentaux aveuglés par l’esprit colonialiste et raciste, livra son expertise pour justifier l’instauration de l’apartheid au Cameroun déjà en 1910. Rudolf Duala Manga en est mort parce qu’il a osé être à la tête de ceux qui, au prix de leur vie, ont dit NON.
Voici ce qui peut sortir du génie d’un intellectuel colonialiste et raciste, pour ne pas dire fasciste, sous le couvert de la rigueur scientifique, 25 ans avant la loi hitlérienne du 15 septembre 1935 contre les Juifs. Colonialisme, mère du fascisme ? A méditer.
Rapport du médecin colonial Prof. Dr. Ziemann sur la nécessité d’éloigner les indigènes des Européens à Douala.
Depuis 1900 déjà, j’ai expliqué dans plusieurs de mes rapports au gouvernement impérial qu’en vue d’un assainissement rapide et relativement radical de Douala, on devrait, vue la capacité de vol des anophèles vivant souvent dans les cases des indigènes, maintenir une distance d’un kilomètre entre ceux-ci et les Européens. Cette proposition que j’ai faite pour la première fois en 1900, lors de conférence médicale internationale de Paris, a été depuis, appliquée de façon générale par tous les peuples colonisateurs, et l’assainissement de Lagos, Old-Calabar, Accra, etc. résulte surtout de cette conférence. Cet assainissement a déjà été entamé à Victoria et à Kribi (Cameroun). Il n’y a qu’à Douala que des difficultés, surtout d’ordre financier s’y opposent. Mais celles-ci peuvent et doivent être surmontées si on veut atteindre le but fixé : faire de Douala, principal centre de commerce et de communication du Cameroun, une ville tropicale relativement saine pour les Européens, où il serait possible de vivre sans quinine. Après la déviation des cours d’eau qui fera disparaître la dysenterie et les autres maladies intestinales, la malaria demeurera pratiquement la seule cause de maladie des Européens ici. J’ai déjà expliqué dans de précédents rapports qu’il est absolument impossible d’appliquer ici la proposition du Geheimrat (conseiller) Koch, laquelle demandait qu’on fasse disparaître la malaria en imposant une cure de quinine à toute la population. La seule solution qui reste consiste donc à déplacer les indigènes et à combiner cette solution à d’autres moyens de lutte contre la malaria, tels assainir les marécages en les transformant si possible en champs cultivés, éloigner les foyers de moustiques, couper la végétation inutile, mettre l’accent sur l’hygiène générale, etc. A ce sujet, je vous renvoie aux précédents rapports annuels.
Bien qu’actuellement le nombre d’indigènes atteints de malaria ait diminué à Douala aussi, du fait que de nouvelles routes aérées, de meilleures maisons plus propres ont été construites, la végétation inutile coupée, etc., ce nombre demeure cependant terriblement élevé. Pour pouvoir étayer cette affirmation de statistiques, un examen systématique du sang de 1635 nègres (enfants, adolescents, adultes), qui, et ceci est important, semblaient bien portants, vient d’être effectué. Le sang de chacun d’entre eux, pris sous forme de gouttes ou de préparation sur lamelle, a été coloré et ensuite examiné, de sorte que les résultats devraient être relativement exacts.
De ces 1635 nègres qu’on a examinés à la fin de la saison sèche, c’est-à-dire pendant la période où la contamination est relativement peu élevée, 72,2% étaient atteints de malaria. Ce qui en d’autres termes signifie que 72,2 des 100 moustiques qui piquent les indigènes ici ont la possibilité de s’infecter et de contaminer les Européens qu’ils piqueront. Dans certains quartiers, ce pourcentage est plus élevé et varie entre 86 et 91%. Le pourcentage serait encore beaucoup plus élevé pendant la saison des pluies. Les différentes données très intéressantes qui ont résulté de cet examen systématique général méritent de faire l’objet d’une étude particulière.
Il a malheureusement résulté de ces examens que les filaires, tout aussi dangereux pour les Européens et également transmissibles par les moustiques, sont aussi très répandus chez les indigènes, jusqu’à un pourcentage de 34,4% dans certains quartiers. Tout ceci doit inciter à reconnaître la nécessité pressante de séparer les véritables porteurs de parasites, qui en général n’en souffrent que très peu, de ceux qui ici sont les véritables porteurs de culture et qui mettent le pays en valeur. De surcroit, il faudrait prendre en considération l’énorme bienfait pour le système nerveux des Européens qu’apporterait la séparation d’avec les indigènes souvent braillards et criards, ou en tout cas tapageurs.
Douala, le 28 Mai 1910. Signé (signature).
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