Lettre ouverte au Gouverneur de la BEAC, qui s’oppose à l’adoption du Bitcoin comme monnaie officielle à côté du FCFA en République centrafricaine.
Cher Gouverneur, j’ai lu, avec beaucoup d’amertume, votre correspondance adressée au ministre centrafricain des Finances et du budget. Vous dites que vous avez « été informé, en même temps que le grand public, de l’adoption par le Parlement centrafricain de la loi mentionnée (sur la crypto-monnaie, NdlR) en objet qui a été signée le 22 avril 2022 et promulguée par le Président de la République». Vous êtes certainement l’un des rares africains indignés par cette décision audacieuse de l’Assemblée nationale, qui l’a votée à l’unanimité.
J’ai eu du mal à parcourir votre correspondance jusqu’à la fin. Vous rappelez toutes les dispositions qui régissent le fonctionnement du franc CFA en Afrique centrale. Vous dites que l’instauration de la crypto-monnaie comme monnaie officielle en Centrafrique, est «susceptible de concurrencer ou supplanter la monnaie légale en vigueur dans la Cemac et de mettre en péril la stabilité monétaire.» Vous êtes sans ignorer que nous appelons cela de tous nos vœux depuis des décennies.
Sur chaque ligne de votre correspondance, j’ai eu l’impression de lire un Français qui défend son trésor contre l’avenir de tout un peuple, de plusieurs générations.
Ce déchaînement de votre part pourrait laisser croire que la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), présentée comme une banque centrale, ne serait en réalité qu’une succursale de la Banque de France.
«Endocolon»
Monsieur le Gouverneur, vous démontrez clairement que vous vous opposez à l’adoption de la cryptomonnaie par le peuple souverain de la République centrafricaine. Qui a l’ambition d’aller vers d’autres opportunités afin de sortir le pays de l’ornière dans laquelle les vrais patrons du franc des colonies françaises d’Afrique (FCFA) l’ont plongée depuis 1945.
Vous ne semblez éprouver aucune compassion, aucune peine pour ce pays qui explore toutes les voies qui s’offrent à elle pour se redresser. Vous n’ignorez pas qu’il a été déchiré par des crises pilotées par des mains plus ou moins visibles.
L’une des sources de nos malheurs en Afrique centrale, c’est la politique monétaire que votre plume défend si bien.
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Monsieur le Gouverneur, vous savez mieux que quiconque que ces billets imprimés à la Chamalières en France nous étouffent. Ils nous étouffent de plus en plus. Nous avons besoin d’explorer d’autres horizons. D’aller vers d’autres opportunités, même contre les intérêts de ceux que les panafricanistes considèrent comme des ‘’endocolons’’.
Parce que faisant de nous honteusement une colonie française 62 ans après les « indépendances », cette monnaie de colonie ne nous garantit aucun avenir car aucun colon n’a jamais, dans l’histoire des colonies, favorisé le développement économique d’aucune colonie, d’aucun colonisé !
A quoi nous sert un « machin » qui est moqué partout dans le monde ? Au Maghreb par exemple, cette « monnaie » est vue comme un simple papier sans valeur. J’en ai fait l’expérience à Casablanca en 2016. Même dans « le marché africain » de cette ville marocaine, j’ai eu du mal à changer 50 000 FCFA en Dirham. Un vrai calvaire !
La position de Idriss Deby Itno
Votre correspondance aggrave nos maux et vous contraint à une trahison spectaculaire. Puis-je vous rappeler les mots de Idriss Deby Itno, votre défunt oncle qui était le grand frère de Haïga Déby Itno qui est votre mère ?
«Le moment est venu de revoir en profondeur les accords monétaires qui nous lient avec la France. Là-dessus, je suis formel. Je ne renie pas pour autant le franc CFA, mais il doit devenir la vraie monnaie souveraine des États qui l’utilisent.»
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«La situation actuelle, ou le compte d’opérations des exportations de quatorze pays africains est géré par le Trésor d’un pays européen, fût-il l’ancienne puissance coloniale, ne peut pas perdurer éternellement. Cette période, qui dure depuis soixante-dix ans, est dépassée. Il faut que les autorités françaises acceptent d’examiner avec nous ce qui, dans nos accords, marche ou ne marche pas. Le franc CFA est certes un facteur d’intégration très important, mais là où le bât blesse, c’est que nous n’avons pas la possibilité de placer ne serait-ce qu’une partie de nos ressources dans le circuit bancaire pour qu’elles génèrent des intérêts. Les sommes en jeu se chiffrent en dizaines de milliards. Soyons lucides : la façon actuelle dont est géré le franc CFA est un frein au développement de nos pays. Réviser nos accords avec la France est absolument nécessaire et incontournable.» Ça, c’était la position de votre père, publiée par Jeune Afrique dans son édition en ligne le 6 février 2017.
Vous savez tout le mal que la jeunesse africaine pense du génocide monétaire, spirituel, culturel, intellectuel des colons en Afrique ! Donc quand l’un des nôtres censé soutenir la rupture totale en cours, joue le gardien du temple du FCFA, notre douleur est inexprimable. Je n’ai pas envie de vous dire à tue-tête, honte à vous.
Didier Ndengue
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