Ahmadou Ahidjo, Premier président du Cameroun
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Ahmadou Ahidjo : «on ne peut rien faire de bon dans la discorde et dans la haine»

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L’intégralité du discours prononcé le 1er octobre 1961 à la Réunification du Cameroun par l’ancien chef de l’Etat.

Camerounaises, Camerounais,

Après plus de 40 années de séparation nous reformons aujourd’hui une même nation, un même Etat. Que ce jour heureux soit un jour d’allégresse pour tous les Camerounais qui croient en leur pays, qui aiment leur patrie. En moins de deux ans, ils auront atteint les deux objectifs essentiels qu’ils s’étaient fixés : l’indépendance et la réunification. Que cette réunification du territoire national soit le gage et le symbole de l’unité des esprits et de cœurs, tel est le vœu que je forme aujourd’hui devant tous les Camerounais.

Cette unité qui désormais ne dépend plus des forces étrangères, il nous appartient de la forger nous-mêmes dans un même élan patriotique. Il ne s’agit plus là dans une rubrique inscrite dans un programme de parti, mais d’une volonté profonde qui doit rester sans cesse présente dans les cœurs de chacun des hommes de notre pays, quel que soit leur idéologie, leur religion et leur groupe ethnique. Que serait en effet une union qui s’accompagnerait de divisions plus profondes que des frontières, de discussions apposant les frères contre les frères, les enfants contre les parents ?

J’en appelle à toutes les forces saines du pays qui sentent, qui savent que l’on ne peut rien faire de bon dans la discorde et dans la haine. A quelque niveau qu’ils soient, les Camerounais doivent se comporter comme les enfants d’une même famille que des discussions peuvent séparer temporairement, mais qui retrouvent au-delà de toutes les discordes les liens profonds qui les unissent.

Que vous soyez investis des charges publiques, chefs traditionnels ou fonctionnaires, que vous travaillez dans les champs, dans les usines ou les bureaux, que vous parliez ou non la même langue, vous êtes avant tout et par-dessus tout, des Camerounais qui sont jugés de l’extérieur sur leur comportement collectif et qui répondent devant l’histoire de ces premières années consacrées à la formation de la nation camerounaise.

Dans un monde où les conflits éclatent sans cesse, où les Etats faibles se font impitoyablement asservir, il serait criminel et impardonnable de détruire follement les immenses conquêtes que dans des circonstances souvent difficiles, nous avons réalisé en quelques années seulement.

Que ceux qui n’ont pas l’esprit par trop obscurci par la passion ou des appétits sordides et puérils, contemplent le chemin parcouru ; un Etat souverain dont la place est reconnue internationalement dans les plus hautes instances mondiales, une population faisant chaque jour des progrès nouveau dans le domaine de la connaissance, des élites investies des plus grandes responsabilités, une structure interne sans cesse renforcée, telles sont les lignes maîtresses d’une situation dont nous sommes fiers. Qui, il y a quelques années, aurait pu espérer atteindre de tels objectifs en un court laps de temps ?

Certes, nous n’ignorent pas les faiblesses qui entravent encore la réalisation d’un Cameroun plus prospère et plus heureux. Mais les faiblesses ne résident telle pas essentiellement dans l’absurdité criminelle d’un groupe aveuglé par la passion et l’envie ? Combien de fois ne les avons-nous pas conviés à regarder les réalités en face, à rejoindre sans réticence la communauté nationale prête à les accueillir.

En dépit de ces appels renouvelles, du pardon accordé, quelques-uns se sont obstinés dans une lutte sans espoir qui absorbe des forces qui pourraient être consacrées à améliorer le bien-être de leurs frères qui en ont besoin. En ce jour solennel, je leur demande une fois de plus, à leur action, à leur avenir personnel et à l’avenir de leur patrie.

D’un côté, ils peuvent envisager le deuil, la misère, le désordre, sans aucune chance pour eux d’accéder à une vie d’homme qui vaille la peine d’être vécue. De l’autre côté, ils peuvent collaborer à l’action la plus exaltante que peut espérer un citoyen : la construction d’une nation dans l’ordre, la paix et la tranquillité.

Aujourd’hui, ceux qui ont été trompés par des promesses mensongères, qui ont été abusés par des hommes sans vergogne mandatées par l’étranger, peuvent encore opérer le choix que je les propose.

S’ils persistent dans le crime, la tuerie, le pillage et la violence, qu’ils sachent que nous serons sans pitié, que nous avons un patrimoine à défendre que nous ont légué nos ancêtres et que nous saurons le défendre. Nous en avons les moyens, l’énorme majorité du pays est derrière nous et jamais ils ne parviendront à satisfaire leurs basses ambitions ; jamais ils n’imposeront à un pays qui l’exècre ; la dictature dont ils rêvent ou l’anarchie qui réduira leur Cameroun à un triste chaos.

Si au contraire, ils renoncent à leurs horreurs, si les yeux s’ouvrent aux réalités d’un monde véritable, la patrie camerounaise les accueillera sans réticence et les ménagera une place, car aujourd’hui comme hier, l’œuvre qui se propose à nous est immense et requiert la participation à tous.

Le peuple camerounais qui comptera désormais plus de quatre millions est en train de faire sa place dans le monde ; il noue des alliances avec les autres peuples frères d’Afrique ainsi qu’avec toutes les autres nations éprises de liberté. Il a l’ambition d’apporter une contribution positive et importante à l’édification de l’Unité Africaine dont les premiers pas s’avèrent pleins de promesses.

Réunissant aujourd’hui les populations d’expression françaises et d’expression anglaise, le Cameroun sera le véritable laboratoire d’une union africaine qui doit rassembler les Etats parlant ces deux langues ; il formera un pont entre les Afriques et son rôle ne peut être qu’accru dans les prochaines assemblées africaines.

Cette particularité nouvelle dans le monde aujourd’hui lui permettra d’élargir sa vision dans les choses internationales et de mener une politique de coopération avec toutes les nations qui accepteront son amitié et respecteront son indépendance et son idéologie.

Ainsi, forts de nos deux communautés, nous pourrons poursuivre au profit du Cameroun mais aussi de toute l’Afrique et du monde, le renforcement d’un Etat que nous voudrons accueillant à tous, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, d’Afrique ou d’au-delà des mers.

Nombreux sont les étrangers qui nous ont fait confiance, leur présence est précieuse, non seulement pour le développement de notre économie, mais aussi pour le renforcement de l’unité que nous entendons maintenant entre notre pays et les pays étrangers. Que demain ils restent avec nous, nous protégerons leurs personnes, leurs droits et leurs biens, et ils vivront avec nous en toute liberté dans une atmosphère de compréhension et de cordialité.

Nous leur demandons, en retour, comme cela est la règle dans tout Etat indépendant, de respecter notre souveraineté et pour certains d’oublier un passé, et des habitudes, qui ne sont plus de mise aujourd’hui. Ainsi, nous créerons une communauté où l’homme échappant à l’antique malédiction ne sera plus un loup pour l’homme et où tous, nous pourrons conjuguer nos volontés, nos efforts et nos activités, faire du Cameroun un pays où il fera bon vivre.

Que ces paroles pénètrent jusqu’au cœur de chacun de vous Camerounais de toujours, aujourd’hui citoyens d’un même Etat mais quelles parviennent aussi jusqu’à nos frères du Cameroun septentrional qui auraient dû se trouver parmi nous aujourd’hui. S’ils ne peuvent s’associer à notre joie, ils savent que nous ne les oublions pas et qu’ils restent présents au fond de nos cœurs. Camerounaises, Camerounais, l’an Un du Cameroun indépendant s’ouvre aujourd’hui sur un avenir qui sera celui que nous bâtirons ensemble.

Que cet avenir nous apporte toutes les joies auxquelles nous pouvons prétendre après une longue et difficile étape, nous ne pouvons en douter, si chacun garde au cœur l’amour de sa patrie, mais aussi au-delà de toutes les diversités qui trop souvent nous séparent, l’amour de l’homme. Vive la République Fédérale ! Vive le Cameroun !

El Hadj Ahamdou Ahidjo

 

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