L’homme politique recadre l’économiste qui milite pour le fédéralisme au Cameroun.
Première erreur de raisonnement. Vous avez une vue statique et non dynamique de la réalité. Vous semblez ignorer que l’univers est en perpétuel mouvement et que la seule chose qui ne change pas c’est le changement lui-même. Vous dites: «Les communautés sont des faits sociaux (…), évidents et indubitables». Je vous l’accorde. Mais les communautés ne sont pas des faits immuables dans le temps. Elles naissent, se développent et meurent, donnant place à des communautés nouvelles qui suivent le même cycle: naissance-développement-mort.
En voulant ossifier des identités anciennes, vous menez une bataille futile contre l’avenir qui a soif de nouvelles identités qui se créent dans notre présent. Il est vain de vouloir arrêter la marche en avant de la roue de l’histoire. Il est carrément inintelligent de vouloir la faire tourner dans le sens contraire.
Deuxième erreur de raisonnement. Vous avez une vision métaphysique et non dialectique de la société. Vous ne semblez pas avoir intégré que la contradiction fait partie de tous les phénomènes naturels et sociaux. Vous peinez à comprendre qu’une société complexe est nécessairement traversée par de nombreuses contradictions. Le dialecticien- contrairement au métaphysicien que vous êtes–analyse toutes les contradictions et distingue la contradiction principale des contradictions secondaires, et pour chacune des contradictions, il détermine l’aspect principal de la contradiction et son aspect secondaire.
Chez vous tout se mélange, se chevauche sans aucun lien autre que mécanique et sans hiérarchisation. Vous êtes embrouillé et vous embrouillez les lecteurs peu avertis.
Pour faire simple, je dirai que notre société néocoloniale est traversée d’au moins quatre grandes contradictions:
1/Celle qui oppose notre pays qui veut sa souveraineté aux puissances étrangères qui veulent nous exploiter et nous dominer
2/Celle qui oppose l’oligarchie gouvernante de connivence avec les puissances impérialistes aux masses populaires qui plient sous l’effet de cette double oppression.
3/La contradiction qui oppose les factions ethniques, religieuses ou linguistiques entre elles pour le partage du butin
4/La contradiction qui oppose parfois l’oligarchie gouvernante complice mais devenue indocile aux puissances impérialistes
Vous ne saurez traiter ces 4 contradictions comme si elles avaient le même poids à un moment donné de l’histoire de notre peuple.
Tant que notre pays reste sous domination étrangère, la contradiction principale est la première et les 3 autres sont secondaires. C’est la phase de la révolution nationale.
Quand un pays a acquis la souveraineté, la deuxième contradiction devient la contradiction principale. On entre alors dans la phase de la révolution démocratique qui vise à émietter les pouvoirs de l’oligarchie et à rendre audible la voix des masses.
Les contradictions internes entre les factions ethniques de l’oligarchie se manifestent par de rudes batailles pour être à la tête du gang ou pour préserver voire augmenter sa part dans le partage du butin volé au peuple.
Ces querelles entre larrons prennent des formes diverses: la plus fréquente en Afrique est l’exacerbation des tensions ethniques, religieuses ou linguistiques. On verra alors les factions de l’oligarchie entraîner dans la bataille les communautés dont ils sont originaires, alors que ces dernières ne bénéficient en rien de leurs prébendes.
Ces querelles de clochers peuvent aussi se manifester comme une lutte pour le changement dans la FORME de l’Etat, sans en changer la NATURE. Les factions ethniques et linguistiques vont réclamer à cor et à cri le fédéralisme (ethnique ou linguistique) dans le but de contrôler et d’exploiter de façon monopolistique des parties du territoire national, sans avoir pour intention d’y améliorer le sort des populations locales.
Votre erreur intellectuelle principale consiste donc à prendre une contradiction de 3ème ordre et d’en faire la contradiction principale. Or il est évident pour tout esprit logique que si vous fédéralisez un Etat néocolonial, vous aurez 10 Etats fédérés néocoloniaux et non 10 Etats souverains.
Diviser un gros tas de merde en 10 et vous aurez 10 tas de merde et non 10 bols de riz.
Djeukam Tchameni
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