La tendance chronique de nombreux États africains à se tourner vers l’extérieur pour trouver des solutions à leurs problèmes de financement, malgré les capacités de production latente et les gisements de croissance inexploités dont regorgent leurs économies, pose la problématique suivante : la nécessité d’inventer une solution endogène de développement financier permettant de favoriser le fonctionnement optimal de l’économie en limitant le recours aux aides et à l’endettement extérieurs.
Le « shadow banking » encore appelé la « finance de l’ombre » offre aux États africains un modèle qu’ils peuvent (sans rompre nécessairement avec leurs partenaires majeurs) « dupliquer » judicieusement, en le combinant avec la compensation, pour contourner les blocages monétaires et financiers imposés par l’architecture actuelle et implémenter une solution autonome complémentaire de financement de l’économie et du développement.
Le terme « shadow banking » désigne le système parallèle d’intermédiation financière impliquant des acteurs puissants participant au financement de l’économie mondiale en dehors du circuit bancaire. Cette gigantesque machine à perpétuer l’endettement et à doper la spéculation (légitimée par des Agences de notation), et dont la bonne compréhension nécessite d’avoir une certaine maîtrise de l’activité bancaire traditionnelle se résume sommairement aux activités suivantes :
– la « titrisation » consistant pour les acteurs à transformer les actifs peu liquides (des crédits bancaires à long terme notamment) en valeurs facilement mobilisables…
– la « mise en pension » permettant aux acteurs de remettre en garantie les « titres » pour lever des liquidités, des garanties de prêts, des lignes de crédits, etc., sans avoir à vendre ceux-ci ou à émettre de nouvelles dettes
– le placement sur les « marchés obligataires » qui consiste à transférer dans l’espace de la circulation financière mondiale (aux fins d’endettement et de spéculation) des titres fusionnés avec d’autres produits financiers dérivés
Les États africains peuvent s’inspirer de ce principe de fonctionnement du « shadow banking » pour implémenter un modèle endogène autonome de « shadow banking d’État » leur permettant de lever « localement » des « liquidités » sans monnaie et de les injecter à travers des « circuits étanches » dans le financement alternatif des activités économiques et des projets de développement.
Techniquement, cette solution alternative de « shadow banking d’État » suggérée consiste pour un État à inventer son propre « mécanisme assurantiel » interne pour « créer » sans risque des « réserves de disponibilités ou de dotations non monétaires » mobilisables avec effet de levier » (via un Organisme spécialisé) au gré de ses besoins et à son rythme, au service du financement de ses actions, selon la démarche simplifiée suivante :
– l’État procède (sous sa garantie) soit à une émission « indirecte » d’obligations, soit à une « titrisation » citoyenne sélective de la dette intérieure, soit au « nantissement » d’un « stock de ressources minières » (sans « hypothéquer » celles-ci vis-à-vis de l’extérieur)
– l’État « mobilise » lesdits « titres » (à travers la « mise en pension ») auprès des banques locales « citoyennes » pour lever des garanties ou pour constituer des « fonds de garanties » destinés à couvrir ultérieurement les soldes débiteurs des comptes de compensation…
– l’État met en œuvre (à n’importe quelle échelle et dans n’importe quel secteur) des Programmes et projets de développement basés sur la mobilisation des ressources locales et sur un système de « paiements compensés » de compte à compte (hors trésorerie) des transactions entre les acteurs participants ou bénéficiaires (regroupés au sein d’un écosystème) et dont seuls les soldes « négatifs » ou « positifs » des comptes de compensation seront liquidés en numéraires selon le processus de la compensation interbancaire…
Un tel modèle innovant et inclusif intégrant nécessairement outre les techniques bancaires et la compensation, la valorisation monétaire complémentaire des ressources et le « troc amélioré » permet à l’État de combiner divers autres leviers d’actions « sympathiques » pour atteindre les objectifs des initiatives à mettre en œuvre : la mobilisation des fonds bloqués, le « crowfunding d’État », la compensation fiscale, le troc d’État, les programmes spéciaux de compensation, la compensation internationale.
Quant aux avantages sur les plans financier, monétaire, économique, social, etc., et en termes d’accompagnement des solutions monétaires de financement, de contournement des obstacles structurels, de consolidation de la cohésion sociale, de construction de la résilience, de renforcement de solidarité économique, d’optimisation de la trésorerie, de démultiplication des capacités de financement et d’atteinte des objectifs, etc., ils ne sont plus à démontrer :
– au niveau local, les États se constituent (dans l’ombre) des « réserves de disponibilités ou de dotations non monétaires » (garanties) dans lesquelles ils peuvent puiser pour agir efficacement sur les causes directes et les effets de la vie chère, de la baisse du pouvoir d’achat ou de l’inflation généralisée, ainsi que sur les problématiques non résolues
– au niveau international, les États mettent efficacement à profit (malgré la faiblesse de leurs capacités productives), l’offre monétaire des BRICS d’accepter des paiements à l’international en monnaies locales pour bénéficier des avantages (transferts de technologie, diminution des coûts d’installation, acquisition d’équipements, diminution des besoins en financements, acquisition de nouveaux débouchés, industrialisation, etc.)
L’exemple suivant, inspiré d’une actualité récente au Sénégal permet de cerner le bien-fondé de la solution astucieuse de « shadow banking d’État » préconisée :
– La problématique : Afin de faire baisser le prix du pain et atténuer les effets de l’inflation et de la vie chère, un État décide de supprimer diverses taxes sur les importations de la farine du blé, mais se trouve confronté au problème d’un « gap » par sac de farine de FCFA 2500 que les meuniers refusent de supporter…
– La solution : L’État met ponctuellement en place (sous sa garantie) un Programme de Compensation Industrielle et Commerciale à l’intention des acteurs des filières et chaînes de valeur concernés et leur alloue respectivement (via un Organisme Spécialisé de Compensation) une « subvention » sous forme de « dotation non monétaire » correspondant au montant annuel du « gap contesté » qu’ils utilisent pour régler indirectement dans leur « circuit de production » (par un système de « paiements compensés » de compte à compte – donc hors trésorerie) certaines factures ou créances entre eux. Au terme du Programme seuls les soldes négatifs ou positifs des « comptes de compensation » sont réglés en numéraires, sur le modèle de la compensation interbancaire…
– Les résultats et impacts : Maximisation des retours socio-économiques de la mesure étatique, réduction des tensions de trésorerie et mutualisation des ressources, promotion des complémentarités et de solidarités nouvelles, réduction des litiges et sauvegarde des intérêts en présence, atténuation sensible du coût de la vie, amélioration du climat social
On le voit, le « shadow banking d’État », adaptée de la technique de préfinancement mise en œuvre avec succès en Allemagne (dans le cadre de l’expérience des BONS MEFO) par le Dr Hjalmar SCHACHT, et consistant à « dupliquer » la « finance de l’ombre » à travers un système étatique d’intermédiation financière non bancaire, s’avère être pour les économies d’Afrique noire, en attendant la création de leur monnaie à valeur internationale, une solution autonome pragmatique, pour inventer un nouveau modèle de financement parallèle (invisible) de l’économie et du développement, et s’engager sereinement vers leur émancipation économique et monétaire.
Jean-Pierre Mfomy
Ancien « banquier » – Expert en compensation
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