Des soldats français de l'opération Barkhane
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Fin de l’opération Barkhane : départ incertain de la France

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Les dessous géopolitiques d’une opération « humanitaire ».

Le 10 Juin 2021, le Président français Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération « Barkhane » au Sahel. Huit ans après son lancement, le bilan d’une telle opération semble plutôt mitigé selon plusieurs observateurs. Malgré quelques victoires sporadiques, la force « Barkhane » semble à bout de souffle comme en témoigne la recrudescence des mouvements jihadistes dans la zone du Sahel. Est-ce pour autant vrai que la France veuille vraiment se retirer ? En effet, quel crédit faut-il accorder à cette décision d’Emmanuel Macron rendue publique précipitamment après un second coup d’Etat perpétré au Mali par le Colonel Assimi Goïta ? Pour répondre à cette question, revenons brièvement sur l’histoire de l’opération « Barkhane » et voyons comment elle a évolué depuis sa création.

Au commencement…

Nous sommes en 2013 ; François Hollande est président de la France depuis un an. Le Mali, frappée par une violente attaque terroriste depuis 2012 est submergé, les forces armées maliennes s’activent, mais sont incapables de contrer la montée inquiétante du terrorisme dans le Nord du Mali. Kidal et Tombouctou, deux principales villes du Nord du Mali sont dévastées. Les écoles, hôpitaux et autres lieux culturels sont incendiés par les mouvements terroristes qui contrôlent désormais la région. La France est appelée en renfort et Hollande arrive au Mali en 2013 comme un véritable Messie. Dans la foulée, l’opération Serval est créée. Au départ il s’agit d’une force de 3000 hommes destinée à contrer la menace terroriste au Mali. Mais un an plus tard, en août 2014, l’opération Serval se transforme en opération Barkhane et s’étend dans les autres pays du Sahel (Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso).

Cette dénomination-extension de la force Serval est certes passée sous silence, mais est loin d’être un fait banal du point de vue géopolitique. L’Elysée a justifié ce redéploiement des troupes françaises par des arguments sécuritaires, en indiquant qu’il était nécessaire de neutraliser les groupes jihadistes dans les pays voisins au Mali où ils se repliaient désormais. Seulement, bien que fiévreux, le contexte sécuritaire actuel dans les autres pays du Sahel ne semble pas aussi préoccupant pour justifier une intensification de l’action militaire française. En effet, la Mauritanie s’en sort plutôt mieux du point de vue sécuritaire, le pays est dans une relative stabilité et les actions terroristes y sont plutôt rares ; le Niger non plus n’est pas submergé, malgré quelques actes isolés de quelques groupuscules ; au Burkina, seule la partie Nord est menacée ; au Tchad, malgré les mouvements rebelles en provenance de la Lybie, Idriss Deby Itno tient la stabilité du pays avec une armée super entrainée.

On comprend en réalité que l’extension de la force militaire française dans tous ces pays dès 2014, loin d’être une nécessité était plutôt motivée par des enjeux géopolitiques et géoéconomiques. Selon plusieurs observateurs, il s’agissait pour la France, sous le couvert d’une action humanitaire, de contrôler politiquement et économiquement cette zone riche en ressources minières.

Un autre fait et non des moindres dans l’évolution de la force Barkhane est le nombre d’hommes déployés. De 3000 militaires au départ, on est passé à 4500 en 2018 et à 5100 en 2020. Un tel gonflement numérique du nombre d’hommes en huit ans d’existence, n’est pas un indicateur de l’amplification de la menace sur le terrain, mais plutôt un révélateur de la volonté de la France de se perpétuer dans le Sahel, même si les discours officiels font état depuis 2013 d’une action ponctuelle et temporaire destinée à prendre fin une fois la menace terroriste contenue.

Scepticisme

Au regard de ces remarques, il est difficile de conclure rapidement que la déclaration d’Emmanuel Macron soit sincère. L’armée française déployée au Sahel a un agenda géopolitique bien dissimulé sous la kalachnikov. Et il est incertain que la France puisse délibérément abandonner cette zone, véritable scandale géologique entre les mains de potentiels concurrents tels que la Russie et la Chine. Au-delà d’un enjeu sécuritaire largement médiatisé, il y a une volonté de la France de renforcer son influence dans le Sahel afin de sauvegarder ses intérêts économiques portés par ses multinationales installées dans ces pays. Si Emmanuel Macron s’est senti obligé de faire une telle déclaration à laquelle personne (y compris à l’Elysée) n’y croit, c’est en partie pour contenter l’opinion. Car l’opération Barkhane est de plus en plus critiquée, d’abord par les Africains, mais aussi par une bonne partie de l’opinion française.

Vue de France, les populations dénoncent une guerre inutile et couteuse pour le pays. En huit ans, plus de 55 militaires français y ont perdu la vie et plus d’une centaine ont été blessés. Chaque année la France dépensent plus de 600 millions d’euros ; une somme que les Français trouvent exorbitante. De plus, plusieurs Français accusent leurs gouvernants de ne pas faire assez pour protéger les soldats envoyés dans le Sahel. Ils jugent le matériel de combat obsolète et de mauvaise qualité. D’après cette opinion, des engins d’une autre époque, qui explosent au moindre choc sont utilisés par les soldats pour combattre les djihadistes, ce qui accroit le nombre de victimes côté français. Si les officiels français se défendent à invoquant la menace terroriste qui pèserait sur la France venant du Sahel, plusieurs voix s’élèvent dans la métropole pour battre en brèche cet argument. En effet, pour eux, les mouvements terroristes qui opèrent dans le Sahel n’ont pas pour ambition ou les moyens matériels de poser les actes en France. Même l’argument migratoire régulièrement mobilisé par l’élite politique française ne tient pas la route selon une partie de l’opinion, car la force Barkhane n’a pas arrêté la forte poussée migratoire qui pèse sur l’Europe et la France.

Griefs

Coté africain, la force barkhane est largement critiquée et jugée inefficace. Pour beaucoup d’Africains, les militaires français positionnés dans le Sahel ont d’autres ambitions qui n’ont rien à voir avec la lutte anti-terroriste. L’opération Barkhane semble plutôt avoir affaibli la plupart des armées des pays concernés, beaucoup de chefs d’Etat ayant abandonnée la sécurisation du pays entre les mains des Français et délaissé leurs propres armées. L’armée française est également accusée d’utiliser les militaires du G5 Sahel comme boucliers humains en les envoyant dans les combats de haute intensité en zone difficile où sans équipements adéquats, ils se font massacrer par les terroristes. La recrudescence des mouvements terroristes dans la plupart des pays du Sahel a accentué le sentiment antifrançais et les appels pour un départ de la France se font de plus en plus entendre. Il était donc nécessaire pour Macron de calmer l’opinion en annonçant le retrait de la France du Sahel. Mais la réalité est tout autre. Les officiels français, à la suite de la déclaration du président français parlent plutôt d’un retrait progressif des forces françaises jusqu’en 2023, et d’un remplacement de Barkhane par une force internationale d’appui aux armées alliées du Sahel. Une façon diplomatique de dire qu’en réalité rien ne change.

JRMA

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