Depuis le 5 avril 2023, la fusion entre le Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) et Entreprises du Cameroun (Ecam) est au-devant de l’actualité. Dans cet entretien, l’universitaire en posture d’invité observe que le conseil des sages du Gicam (qui se penche ce matin sur la question) prenne ses responsabilités pour restaurer la crédibilité du GICAM.
Le débat sur le traité de fusion-création des deux principales organisations patronales du pays divise actuellement la classe intellectuelle. Quel est votre avis ?
Le débat sur le traité de fusion-création des deux organisations patronales est effectivement l’occasion d’une forte divergence entre ceux qui y voient une chance pour le patronat et l’économie camerounaise, et ceux qui indexent ce projet. Ma collègue Loveline Tayou et moi-même, en cosignant une tribune commune, avons modestement partagé quelques considérations sur ce sujet il y a quelques jours. Nous avons choisi de poser un regard synoptique sur cette actualité en affirmant dans ce texte, paru dans la presse, que cette querelle occulte en réalité le débat de fond, celui de l’urgente refondation du Gicam. En effet, après 66 ans d’existence, il est évident que le Gicam a besoin d’une véritable cure de jouvence.
Mais s’agissant singulièrement de votre question, il semble évident que le processus de fusion – création initié par le président actuel du Gicam viole les textes qui régissent cette organisation patronale. D’abord parce que cette fusion bafoue le pouvoir d’initiative et de décision du conseil d’administration qui s’est opportunément vu transformé en une chambre d’acclamation. Des informations glanées à bonnes sources révèlent avec constance que les administrateurs du Gicam ont adoubé le principe de la fusion et attendaient de délibérer collégialement et à bon droit sur un projet de traité de cette fusion. Malheureusement le Président de céans n’a pas jugé utile d’ouvrir ce débat, et leur a présenté à la place, pour acclamation, un traité dont ils ignorent tout de la substance et de la consistance.
Par ailleurs, et ce qui est fort surprenant, l’avis du conseil des sages du Gicam qui devait être donné préalablement à la signature du traité de fusion a été occulté. Ce qui peut, soit s’apparenter à une défiance vis-à-vis de cette instance, soit attesté de l’inutilité de son institutionnalisation.
Qui plus est, en entendant inviter l’Assemblée Générale Extraordinaire du GICAM à ratifier simplement ce traité de fusion, le Président Tawamba violerait la souveraineté de l’assemblée générale qui serait ainsi, à la suite du conseil d’administration, transformée en caisse de résonance. Ce qui serait une incongruité, dans la mesure où l’assemblée générale qui décide en dernier ressort, est habilitée à se prononcer sur tout projet de fusion, qu’elle peut modifier à sa guise, rejeter, ou éventuellement adopter, mais jamais un traité déjà signé !
Qui pourrait défendre le fait que, dans une organisation, en contexte supposément démocratique, le Président puisse unilatéralement s’arroger le pouvoir d’engager un processus pouvant conduire à la dissolution de celle-ci ? Vous l’aurez compris, le projet de fusion ECAM – GICAM tel qu’il est actuellement libellé, pensé et exécuté, porte en lui-même les germes de son annulation. Et, tout ceci est d’autant plus surprenant que le GICAM, qui se fait le chantre de la bonne gouvernance et l’exemplarité qu’elle induit, vient à peine de publier un Code de bonne gouvernance des entreprises.
Pensez-vous que cette fusion va être entérinée malgré la levée de boucliers qu’on observe dans la presse et les réseaux sociaux ?
En réalité, je suis étonné de constater que ce projet n’ait pas encore été sanctionné jusqu’ici. Si vous commettez l’imprudence d’aller vous marier sans informer vos parents et ceux de votre femme, et qu’ensuite vous leur demandiez d’entériner ce mariage, il est clair que s’ils ont un peu d’amour propre ils vous sanctionneront. L’image se rapproche en effet du cas d’espèce, parce que le conseil des sages, les administrateurs et l’assemblée générale – qui ne sont pas contre le principe de la fusion – découvrent tous ce traité de fusion après signature. Je crois qu’il serait de bon ton que les patrons prennent leur responsabilité, que le conseil de sage prenne ses responsabilités pour restaurer la crédibilité du GICAM et rassurer toutes les parties prenantes sur la solidité des institutions au sein de l’organisation. Le conseil des sages devrait sans délai et en tout état de cause censurer ce projet de fusion.
Etes-vous d’accord avec les analyses qui disent que Célestin Tawamba et Protais Ayangma, à l’initiative de cette fusion, jouent gros ?
Bien que leurs trajectoires professionnelles individuelles et leurs états de services dans le mouvement patronal soient particulièrement remarquables, les deux jouent malheureusement gros dans le cas où cette fusion ne passe pas. En effet, si le conseil des Sages venait à censurer le projet de fusion, il ne serait pas surprenant que le Président actuel démissionne avant la fin de son mandat. Le Conseil d’administration du GICAM devrait aussitôt l’y inviter s’il souhaite conserver une quelconque légitimité pour continuer à diriger le Groupement pour le reste du mandat. Il me semble que c’est la pratique de la démocratie associative dans toutes les organisations qui se respectent.
La prochaine élection au Gicam est prévue pour la fin de cette année. Comment appréhendez vous cette échéance ?
L’opacité qui entoure ce projet de fusion – création légitime tout observateur à penser que le président actuel ambitionne s’arroger un troisième mandat, et qu’il espère que la dissolution du Gicam mettrait tous les textes à plat. Outre la modification éhontée des statuts en fin de mandat, c’est la seule manœuvre à même de lui permettre de candidater, dans la mesure où il est actuellement frappé par la limite de mandats qu’il a lui-même instituée.
En face, il y a effectivement d’autres ténors du patronat, au sein et en dehors du conseil d’administration, à qui l’on prête des ambitions, qui s’affirment contre cette fusion. Dans le cas où cette fusion venait à échouer, l’on pourrait voir d’anciennes ou nouvelles figures du patronat faire acte de candidature. Mais, si la fusion passe, il sera difficile de concurrencer le Président Tawamba qui se targuerait objectivement du soutien de ses pairs. Espérons simplement que la crise de gouvernance actuelle que vit le GICAM ne la placera pas de fait, sous tutelle permanente du Gouvernement, y compris lors des élections à venir. La démocratie associative devra être respectée.
Qu’est-ce que vous pensez des six années que vient de passer Célestin Tawamba à la tête du Gicam ?
Celestin Tawamba, et la liste GICAM en Action qu’il a conduite pour ses Actes 1 et 2, était bien partie pour sortir par le haut. Le Livre Blanc sur l’économie camerounaise reste une contribution utile à la réflexion économique de notre pays. La place accordée aux PME au sein de l’organisation, notamment à travers le CDPME, semble déjà porter ses fruits. Enfin, la récente publication du Code de bonne gouvernance du GICAM constituait jusque-là un marqueur positif et un héritage fécond pour les générations futures. Cette fusion fait toutefois tâche d’huile et pourrait donner raison à ceux qui depuis longtemps susurrent que les combats menés par le GICAM, notamment à l’égard des pouvoirs publics, le sont à des fins opportunistes et individualistes. Je refuse de le croire et je caresse encore l’espoir de voir le Conseil d’administration ou le plus avant le conseil des sages, inviter le Président du Gicam à renoncer à sa fusion pour protéger leur bilan. Je vous rappelle que l’instance qui dirige le GICAM est son conseil d’administration et non son président.
Dans une tribune libre que vous avez cosignée, vous pensez qu’à la place de ce débat sur la fusion, il faut plutôt discuter de la refondation du patronat. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je l’evoquais à l’entame de cette interview. Après 66 ans d’existence, le Gicam doit en effet évoluer en arrêtant de paraître comme le lobby des grandes entreprises qui ont pour l’essentiel des intérêts qui ne rencontrent pas ceux des PME. Dans les années d’indépendance, les grandes entreprises, surtout les multinationales françaises, représentaient l’essentiel de l’économie camerounaise. Cette architecture a commencé à s’effriter avec les années et les conjonctures. Aujourd’hui, les PME représentent 98 % de l’économie camerounaise. Elles ne doivent plus être atones au sein du Gicam. Cette évolution est nécessaire et vitale. Quel GICAM pour représenter ce tissu économique ? Comment nouer une vraie relation partenariale avec l’Etat ? Qu’attendent véritablement les entreprises du GICAM ? Voilà autant de pistes de réflexion qu’il urge de dessiner pour poser les bases de la refondation du GICAM.
Cette urgence de la refondation que vous défendez n’est-elle pas une préoccupation périphérique à l’opposé des préoccupations comme la conjoncture économique morose, la pression fiscale ou encore la réforme du Cameroon Business Forum ?
La mission récente du FMI de passage au Cameroun courant mai a rappelé le rôle essentiel que doit jouer le secteur privé dans la transformation structurelle de notre pays. Or, il faut structurer ledit secteur privé afin qu’il soit au service de l’entreprise et du Cameroun, et non au service de quelques intérêts corporatistes ou claniques. C’est sa vocation et seule la refondation du Patronat pourra permettre d’y déboucher, qu’il s’agisse de sa refondation structurelle, fonctionnelle et substantielle. S’agissant de la refondation structurelle, il est urgent d’engager la modification de la structure de la représentation au sein du GICAM, en favorisant, d’un côté, une meilleure expression des PME qui constituent près de 98 % de notre tissu économique camerounais, de l’autre, celle des jeunes et des femmes, la principale force entrepreneuriale et d’innovation de notre pays. La refondation fonctionnelle exige de faire évoluer l’organisation interne du GICAM, en migrant de la segmentation par la taille des entreprises, particulièrement inefficace et inefficience, à une segmentation sectorielle, porteuse de plus de cohérence de sa vision, favorable à la convergence des intérêts des acteurs, et à l’efficacité opérationnelle.
Cette migration favoriserait un meilleur alignement avec la SND30 et les secteurs économiques prioritaires de l’Etat définis par le législateur dans la Charte des investissements du 19 avril 2002 et à l’article 14 de la Loi du 18 avril 2013 portant incitations à l’investissement privé en République du Cameroun. Mais cette refondation fonctionnelle exige également d’envisager une meilleure occupation spatiale et territoriale du GICAM, et suscitant la création d’autres antennes, dans l’Ouest, le Nord-Ouest, le Sud et le Nord du pays par exemple, pour davantage rapprocher l’institution de divers lieux d’exercice de l’activité économique.
Enfin la refondation substantielle adresse principalement la question de la gouvernance interne du GICAM, qui gagnerait à être plus démocratique, avec un renforcement des règles internes de redevabilité, la multiplication des outils et instances de contrôle, le rééquilibrage du pouvoir et du niveau de représentation des membres, le saut numérique et technologique, entre autres. Le débat est lancé et l’intérêt qu’il suscite démontre qu’il s’invitera partout, que cela soit au GICAM, à ECAM, au MECAM, voire bien au-delà.
Propos recueillis par S.K.
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