Lorraine Djeussom fait partie des survivants du drame survenu dans la nuit du 22 au 23 juillet 2023 au lieu-dit « Mobil Guinness » à Ndogbong, à Douala 5e. Elle raconte son cauchemar.
Il était environ 23h et on venait de finir de coiffer ma sœur. Nous sommes montées au salon et on a un peu veillé. La fatigue nous a pris, on décide donc d’aller dormir. Je suis allée dans la chambre la première et cinq minutes plus tard elle m’a rejoint. Nous nous sommes endormies. A une certaine heure de la nuit, je me suis réveillée, je n’arrivais plus à trouver le sommeil. Je prends le téléphone pour regarder l’heure, il était 00h16. Et à peine je regarde l’heure, j’entends au même moment un grand bruit. Quand j’entends ce grand bruit, je sursaute et je m’assieds sur le lit pour essayer de savoir d’où vient le bruit. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de dire quoique ce soit. Je n’ai rien compris. Ça n’a même pas fait dix secondes après ce bruit que tout s’est effondré sur ma sœur et moi.
Nous nous sommes retrouvées coincées sous le lit. J’ai essayé de bouger mais en vain. Toute la pièce était effondrée. Je ne savais pas réellement ce qui s’était passé. Quand l’immeuble s’est effondré, le téléphone que j’avais en main est tombé. Il est tombé à côté de moi mais je ne pouvais pas l’attraper car je ne parvenais pas à bouger. Je me suis dit que si je parviens à prendre mon téléphone, je pourrais même appeler quelqu’un mais je ne pouvais même pas. J’étais bloquée, je ne pouvais pas bouger. C’est bien après que ma petite sœur se réveille. Elle commence à crier mon nom en disant: » Lorraine… Loraine je n’arrive pas à bouger ». Je lui réponds aussi en criant que je n’arrive pas à bouger.
On essaie de se débattre mais en vain. Je commence donc à crier » aux secours » et en même temps, je crie » Ange ça va? ». Elle me répondait par un oui. Je crie » aux secours »; je crie » Ange ça va »? Elle me dit oui. A un certain moment j’ai continué à appeler à l’aide et j’ai d’abord cessé de l’appeler. Quand je reviens vers elle, je l’appelle, je l’appelle mais elle ne répondait plus. J’ai crié son nom à plusieurs reprises mais rien. Je me suis dit intérieurement que peut-être elle s’est évanouie, quelque chose comme ça. J’ai quand-même continué à l’appeler en pleurant.
À un certain moment je me suis ressaisie et je me suis focalisée à crier « à l’aide » et en même temps à chercher de l’air parce qu’au fur et à mesure que le temps passait je n’arrivais plus à respirer. Je ne respirais plus par le nez mais plutôt par la bouche. Plus le temps passait, plus je devenais faible. Et plus le temps passait, plus le poids des décombres commençait à peser sur moi. J’ai commencé à crier, à crier.
Pendant que j’étais en bas je criais, personne ne m’entendait. J’ai continué à crier quand-même et à un moment, j’ai commencé à entendre les pas au-dessus de moi, des voix, mais elles étaient très faibles. Je criais toujours mais personne ne m’entendait. Apparemment c’est comme s’il y avait quelqu’un d’autre au-dessus de moi. C’était du genre, quand je crie, je sens comme si on était en train de bouger les cailloux. Je me suis dit ‘’ouf enfin on m’a entendu, on va venir me sauver’’. Mais après un moment, le calme revenait. Et là je comprenais qu’en fait personne ne m’avait entendu. J’ai continué à crier en cherchant l’air car, plus je restais là dessous, plus l’air se faisait rare. On ne voyait absolument rien parce que c’était dans le noir complet.
Je criais toujours « aux secours », » aidez-moi », » venez me sauver ». Je ne sais pas à quel moment ils m’ont entendu parce qu’après j’ai entendu une voix qui disait » est-ce qu’il y a quelqu’un ? ». J’ai commencé à crier plus fort. La même voix a répété ‘’s’il y a quelqu’un crie encore’’. J’ai encore crié et c’est comme ça qu’ils ont su qu’il y avait un survivant en bas. Quand ils ont su qu’il y avait quelqu’un, ils se sont dépêchés de venir enlever les décombres qui étaient sur moi. Je ne sentais plus mon corps. Je ne sentais plus mes jambes, mon sang ne circulait plus, tout mon corps était devenu froid. Je ne ressentais plus rien. C’est seulement mes épaules et ma tête que je pouvais bouger pour essayer de chercher l’air. Mais, quand ils ont commencé à enlever les décombres sur moi, je ne manquais plus d’air. Au point où, lorsqu’ils ont réussi à me localiser, ils ont commencé à enlever les morceaux de dalle qui étaient sur mon corps.
Je ne ressentais plus le poids des décombres qui s’étaient écroulés sur moi. Mais au niveau de ma tête c’était encore coincé. C’était de telle sorte que je ne respirais même plus l’air mais, plutôt le sable. Comme ils avaient déjà commencé à dégager ma tête, ils ont donc cherché comment faire pour sortir ma tête qui était coincée sous plusieurs poutres. Comme ma sœur était à côté de moi, en dégageant les décombres on a pu la trouver. Quand on l’a trouvé, elle était inconsciente, elle respirait à peine. On a réussi à la faire sortir en premier.
Pour moi alors, ils étaient en train de réfléchir à comment ils allaient procéder pour me faire sortir. Parce qu’apparemment, il y avait encore beaucoup de poutres sur ma tête. Et si je faisais le moindre faux mouvement ça allait s’écrouler une fois et à ce moment-là nous tous on allait mourir. Pendant qu’ils réfléchissaient, moi je ne respirais plus. Je ne sais pas ce qui s’est passé alors, j’entendais seulement comment ils disaient qu’il faut créer un espace au niveau de ma tête pour que je puisse respirer au moins avant de trouver comment me faire sortir des décombres. Ils ont commencé à creuser autour de ma tête et petit à petit je commençais à trouver l’air, je ne respirais plus le sable. Au fur et à mesure qu’ils creusaient, j’ai constaté que moi-même je pouvais bouger mon corps. Eux-mêmes n’étaient pas en mesure de me sortir de là, il fallait que moi-même j’essaie de me dégager.
Je me rappelle très bien, je n’étais pas inconsciente. Lorsqu’ils ont réussi à dégager tous les décombres, j’avais très mal au bras mais j’ai fait des efforts pour me décaler du trou là. Quand je me suis levée, c’est eux qui m’ont arrêté et m’ont conduit aux urgences. On est allé à Deïdo mais c’était déjà saturé. Nous sommes donc allés à Laquintinie où j’ai reçu les premiers soins. J’étais vraiment recouverte de sable un peu partout. Personne ne croyait que j’allais survivre. On m’a fait des examens et heureusement je n’avais rien de grave. Juste des égratignures au niveau des épaules et aussi de fortes douleurs.
Mais, ma sœur apparemment était déjà morte avant d’arriver à l’hôpital et on n’a pas pu la sauver.
Propos recueillis par Fadira Etonde
Comments